[rétro] : Sarkozy en rase campagne (2012)
Le 6 mai 2012, l’ex-patron de l’Élysée a démontré qu’il savait encore séduire des millions de Français. Mais pas assez pour l’emporter. Où et quand s’est-il trompé ? Mon enquête publiée il y a 13 ans.
Où et quand Nicolas Sarkozy s’est-il trompé ? Erreurs de tempo, de timing, de positionnement ? Pour le comprendre, je vous propose de lire (ou relire) mon enquête publiée à l’automne 2012 dans la revue Charles, consacrée aux coulisses de la vie politique et cofondée par Arnaud Viviant (ex-Libé / Inrocks), et Alexandre Chabert des éditions La Tengo.
Cette longue enquête, saluée alors dans Le Point par mon confrère Michel Revol, revient ainsi sur les coulisses et les stratégies d’une bien drôle de campagne à droite toute, un épisode marquant de la Vème République, voire même un tournant qui explique aujourd’hui de nombreuses dérives. C’est que cette campagne a été initiée deux ans après le fameux discours de Grenoble inspiré par l’homme de l’ombre Patrick Buisson, farouche partisan de l’union des droites.
Étrange mais nécessaire retour en arrière. En effet, treize ans plus tard, en 2025, Louis Sarkozy tente ses débuts dans la vie politique française à grands renforts d’invitations dans les médias, en particulier sur les chaînes « d’info ». Et son père, Nicolas Sarkozy attend son verdict dans l’affaire libyenne à l’automne, lui qui semble ne plus pouvoir échapper aux condamnations de la justice. Déjà condamné dans le dossier Bygmalion, ce dernier se retrouve depuis février dernier avec un bracelet électronique du fait d’une nouvelle condamnation dans l’affaire dite des écoutes.
Cette première enquête me permit d’y voir plus clair sur le dossier Bygmalion
Concernant Bygmalion, dossier que j’avais largement couvert chez Marianne entre 2014 et 2016, c’est justement cette première enquête de coulisses datant de 2012 et publiée dans Charles qui m’a permis de dévoiler très vite le pot-au-rose dans différents articles publiés dans Marianne que je vous ferai découvrir cet été : l’affaire Bygmalion concernait avant tout le maquillage de la comptabilité de la campagne Sarkozy, pour cacher d’innombrables dépassements de dépenses.
Dès juin 2014, je le comprends, je le découvre et je l’écris. Deux ans plus tôt, dans Charles, j’avais en effet raconté que les meetings de campagne de Nicolas Sarkozy avaient été organisés à la fois par Jérôme Lavrilleux ET par Éric Césari, le directeur général de l’UMP et fidèle parmi les fidèles de celui qui était encore président. Ce fait, je le conserverais en mémoire.
Et lorsque je recueille les versions des uns et des autres peu de temps après les aveux de Jérôme Lavrilleux à la télévision, ce simple fait va percuter le storytelling des communicants et de la garde rapprochée de l’ancien président. L’affaire Bygmalion avait éclaté un peu plus tôt en février 2014 dans Le Point qui présenta à ses lecteurs un mauvais cadrage du dossier, centré uniquement sur la bande des Copé boys, histoire d’éloigner les curieux du vrai sujet qui était celui de la campagne de Nicolas Sarkozy. L’hebdomadaire de droite titra alors « l’Affaire Copé. Sarkozy a-t-il été volé ? ». Manifestement, Franck Louvrier, ancien conseiller en communication de Nicolas Sarkozy à l’Élysée, avait tout fait pour dévier le tir mais… juste un temps.
Bonne (re)lecture !
Sarkozy en rase campagne (revue Charles)
« Si on fait une campagne sur la division des Français, les uns contre les autres, la droite et la gauche, le PS et l’UMP, si on fait la guerre aux pauvres, si on fait la guerre aux musulmans, on perdra. Au fond, la défaite morale précède toujours la défaite politique, et elle l’entraîne. »
Henri Guaino, conseiller spécial du président Sarkozy, automne 2011, Les Stratèges, Canal +.
Peu de temps avant l’ intervention armée en Libye, en mars 2011 – plus d’un an avant l’élection présidentielle – un rendez-vous discret est organisé entre Jean-René Fourtou, président du conseil de surveillance du groupe Vivendi, ancien PDG de Rhône-Poulenc, et Nicolas Sarkozy : « Ton bilan, personne ne le promeut », se désespère le patron. « T’as qu’à le faire ! », lui répond le président. « Chiche ! », lance finalement son invité. À 72 ans, Jean-René Fourtou n’a plus rien à perdre, plus rien à prouver, mais est persuadé d’une chose : l’avenir de la France ne peut se faire sans Nicolas Sarkozy.
Le « Groupe Fourtou » est né : autour du grand patron vont désormais se réunir chaque semaine des politiques comme Alain Carignon, l’ancien maire de Grenoble et ministre de la Communication d’Édouard Balladur, les jeunes trentenaires Guillaume Peltier, secrétaire national de l’UMP chargé de l’opinion, ex-FN, ex-villiériste, et Geoffroy Didier, conseiller de Brice Hortefeux ; un autre patron, celui de BNP Paribas, Michel Pébereau ; un « communiquant » en la personne de Michel Calzaroni ; les vieux journalistes Gérard Carreyrou, 69 ans, éditorialiste à France Soir, et ex-sympathisant socialiste il y a une vingtaine d’années, Charles Villeneuve, 70 ans, ancien d’Europe 1, et Étienne Mougeotte, 71 ans, le directeur des rédactions du Figaro. Tous anciens de TF1.
Pédagogie « subliminale »
Pour faire le lien avec Nicolas Sarkozy, l’homme tout trouvé est Camille Pascal, nouveau conseiller audiovisuel à l’Élysée depuis début 2011 – après être passé par le CSA sous Baudis, et France Télévisions sous Carolis –, et qui s’est très vite attiré les bonnes grâces présidentielles après avoir écrit un discours remarqué : « C’est le Siècle, sans les emmerdeurs, confie alors ce dernier à ses proches à propos du « groupe Fourtou ». C’est le seul endroit où on peut faire dialoguer un geek de 25 ans avec un patron du CAC 40. » Un jeune membre du cabinet de Claude Guéant, Louis de Raguenel, féru de Twitter, a pu participer aux réunions du groupe.
Tous ont un objectif : valoriser l’action de Nicolas Sarkozy. « Insufflons du positif ! », martèle Jean-René Fourtou, qui a l’habitude de dire : « Toujours faire venir l’adversaire sur notre damier. » Ou encore : « Un tiers de contention de l’adversaire, deux tiers d’extension de notre territoire. » Les réunions ont lieu chaque semaine au domicile privé du grand patron à Neuilly. Chaque semaine, Camille Pascal rédige une note pour le président. Très vite, le groupe s’attache à améliorer l’image de Nicolas Sarkozy sur deux thématiques principales : la crise économique et les relations internationales. Autrement dit, rendre crédible la « représidentialisation » du président. Empruntant des méthodes de communication de crise, et au marketing d’influence, Fourtou veut imposer des éléments de langage dans les médias.
Exemple : « chef de l’État » plutôt que « président de la République » : « Que les gens puissent se dire : Nicolas Sarkozy a quand même agi en homme d’État », souffle un participant. Les membres du groupe ne travaillent pas uniquement sur l’image de leur champion. Ils veulent retrouver le souffle du « sarkozysme culturel » tel que décrit par le journaliste Frédéric Martel, gagner la bataille idéologique. L’un d’eux résume : « Nous avons tenté une pédagogie subliminale de l’action de Nicolas Sarkozy pendant la crise. » Pour cela, ils collaborent un temps avec l’Institut Montaigne.
Ensemble, ils organisent en septembre un colloque sur les leçons et défis de la crise avec Jean-Claude Trichet, alors toujours président de la BCE, et son futur successeur Mario Draghi. D’une manière « subliminale », il s’agit bien d’imposer l’idée – en pleine primaires socialistes – que seul Nicolas Sarkozy sera, au bout du compte, capable de naviguer dans la tempête.
La Porsche panamera
Stratèges d’influence, façon spin doctors à l’américaine, les membres du groupe Fourtou savent également passer à l’attaque. En novembre 2011, certains d’entre eux sont à la manœuvre pour décrédibiliser l’accord Verts-PS en diffusant aux médias les coûts estimés, sur les plans économiques et sociaux, d’un éventuel arrêt de la filière nucléaire. Mais le « coup » le plus important du groupe Fourtou restera la fuite dans la presse, le 4 mai 2011, de la photo de Dominique Strauss-Kahn et d’Anne Sinclair sortant d’une Porsche Panamera, voiture estimée à 100 000 euros, et appartenant à leur ami Ramzy Khiroun, conseiller d’Arnaud Lagardère, au sein du groupe éponyme.
Car l’autre fonction du groupe Fourtou est de réactiver les réseaux sarkozystes dans les milieux d’affaires et les médias : « Nous avons essayé de retisser la toile à un moment où il n’y avait plus de sarkozystes en France. Il était nécessaire de “resarkoïser”, et de décomplexer les sarkozystes qui s’ignoraient », confie un des participants. « Il s’agissait de sortir Sarko de l’isolement. Chacun de notre côté d’ailleurs, on travaillait nos différents réseaux. » Dans cette optique, le groupe Fourtou organise également des rencontres et déjeuners entre Nicolas Sarkozy et des intellectuels, des historiens, des anthropologues, avec des journalistes comme Patrick Besson, Elisabeth Lévy, avec le cinéaste Yann Moix, des professionnels de la petite enfance… De son côté, Henri Guaino, la célèbre plume de l’Élysée, fait de même. Car, en ce printemps 2011, Nicolas Sarkozy est effectivement isolé : c’est l’époque où, à l’UMP, certains n’hésitent plus à dire qu’il n’est peut-être pas le meilleur candidat pour la droite… Le nom d’Alain Juppé, nouveau ministre des Affaires étrangères, est cité dans les journaux. « Vous étiez là quand il faisait froid », dira d’ailleurs Sarkozy quelques mois plus tard aux membres du groupe Fourtou.
Isolé dans son propre camp, l’UMP, mais surtout isolé dans les milieux d’affaires qui lorgnent à l’époque de plus en plus du côté de DSK…
Les regrets de Bouygues
Le temps du Fouquet’s est révolu. Depuis 2010, l’amour fusionnel entre le président et les grands patrons du CAC 40 s’est dissipé, en dehors de Jean-René Fourtou, Michel Pébereau, et bien sûr, Vincent Bolloré ou Bernard Arnault. Tous les anciens de TF1 du groupe Fourtou – les Carreyrou, Mougeotte et Villeneuve –, sont même persuadés que leur ancienne chaîne dirigée désormais par Nonce Paolini ne roule plus pour Sarkozy, et ce, malgré la présence à l’antenne de Jean-Pierre Pernaut… « Nous sommes en train de nous faire avoir par TF1 et l’Élysée ne réagit pas. Franck Louvrier [conseiller communication de Sarkozy] n’a pas vu ce tournant ! », s’alarment-ils à l’automne 2010, en pleine affaire Woerth-Bettencourt.
Fini la victoire de 2007. Désormais, entre Nicolas Sarkozy et Martin Bouygues, « les rapports sont francs », souffle-t-on pudiquement du côté de l’Élysée. Bouygues, témoin du second mariage de Nicolas Sarkozy et parrain de son fils Louis, déçu du sarkozysme ? Au début du quinquennat, le leader du BTP, propriétaire de TF1, avait en effet fait savoir à l’Élysée qu’il souhaitait s’engager davantage dans la filière du nucléaire… Sans résultat.
Lors d’une rencontre organisée à HEC le 28 janvier 2010, Martin Bouygues laisse filer ses regrets, rappelant qu’en deux ans et demi, son ami Nicolas Sarkozy n’avait toujours pas privatisé Areva, avait bradé une licence téléphonique, et gratifié TF1 d’une nouvelle taxe. « Cette relation avec Nicolas Sarkozy est plus un handicap qu’un avantage », confiait-il, presque la larme à l’œil. Bouygues aurait aussi perdu de nombreux contrats de BTP en Algérie suite à une visite rocambolesque de Nicolas Sarkozy en décembre 2007 qui s’était terminée par un incident diplomatique. Accompagné à l’époque de Rachida Dati, Fadela Amara, de Smaïn et de Didier Barbelivien (sic), le nouveau Président d’alors n’avait pas pris grand soin à respecter le protocole et l’accueil qui lui était réservé par les officiels algériens. Au point que le Président Algérien, Abdelaziz Bouteflika, lui en tiendra rigueur durant toute la suite du quinquennat...
Le 14 décembre 2011, comme le révèlera Le Canard enchaîné, Martin Bouygues rencontrera François Hollande. Quand on est patron du CAC 40, il ne faut jamais mettre ses œufs dans le même panier. Même Arnaud Lagardère, dragué alors par DSK, et Serge Dassault, lassé de voir Nicolas Sarkozy s’exciter à l’étranger sans réussir à vendre ses Rafales, semblent s’éloigner du président. Au moins jusqu’à la victoire éclatante de ce dernier contre Kadhafi.
Éduquer plus pour gagner
Courant juin 2011, Nicolas Sarkozy évoque devant le groupe Fourtou quelques grands traits de la campagne qu’il souhaite mener en 2012. La campagne de ses rêves : « Hollande va faire ma campagne de 2007. Moi, je vais faire “la” campagne de 2012. Car Hollande n’a pas compris une chose, c’est qu’avec la crise, nous avons changé de siècle », explique-t-il alors.
Avant même que François Hollande promette la création de 60 000 postes dans l’Éducation nationale, Nicolas Sarkozy a l’intuition que les questions éducatives doivent être au cœur de son projet : « Je sais la campagne que je voudrais faire, confie-t-il au groupe Fourtou. Ça tournera autour de trois ou quatre idées-forces. Notamment une révolution à l’école. À ce sujet, on s’est totalement trompé de logiciel à droite. La question, ce n’est pas d’avoir moins de profs. C’est de mieux les répartir. On peut être à soixante élèves dans une classe à Henri IV et réussir, mais dans un lycée de banlieue, on échouera. C’est le suivi des élèves qui compte. Et il faut donc payer davantage les profs. »
Éduquer plus pour gagner plus. Tel est le message qu’il compte faire passer aux professeurs de l’Éducation nationale dans quelques mois. En somme, la version 2012 de son slogan fétiche de 2007, travailler plus pour gagner plus. Une telle idée sera-t-elle suffisante pour gagner ? Durant « sa » campagne, il souhaite aussi promouvoir les soins palliatifs : un sujet qui concerne tous les Français, qui dépasse les clivages. Le groupe Fourtou n’en saura pas plus… « Je ne veux pas trop parler », souffle le président perdu dans ses pensées.
Car le plus grand secret doit entourer une « éventuelle » candidature de Nicolas Sarkozy en 2012. Ce qui n’empêche pas le journaliste politique du Monde, Arnaud Leparmentier, « d’outer » le groupe Fourtou dans un long article à la mi-août : « Nous nous sommes alors demandés s’il fallait continuer », rapporte un des Fourtou’s boys. Mais il en faut plus à Jean-René Fourtou pour abandonner. Les réunions seront désormais organisées au bureau de Michel Calzaroni dans le 16ème arrondissement, tous les jeudis après-midi. Et les efforts seront même redoublés car l’Élysée commence à s’activer…
Un « dossier secret »
En réalité, dès juin 2010, Jean-Baptiste de Froment, alors conseiller éducation à l’Élysée, est chargé par Nicolas Sarkozy de se mettre en mode « veille » pour 2012. Le jeune conseiller multiplie alors les lectures, les rendez-vous. Plusieurs groupes de bénévoles se mettent en place. En janvier 2011, le président décide de confier la préparation de son projet à Bruno Le Maire, son ministre de l’Agriculture, après un intense lobbying de ce dernier : « Il n’y a que moi pour faire ce travail. » Des réunions sont désormais organisées toutes les semaines.
Après plusieurs mois de travail, un « dossier secret » rassemblant une quinzaine de thèmes (sécurité, maîtrise de la dette, croissance…) est finalement remis en main propre par Bruno Le Maire à Nicolas Sarkozy le 1er août, juste avant que ce dernier ne parte en vacances. « Nicolas Sarkozy n’en a pas fait grand-chose. Je suis même sûr qu’il ne l’a pas lu. En fait, il ne se projetait pas encore totalement dans la campagne. Et puis ça venait de Bruno Le Maire, c’était difficile pour lui de s’approprier un tel package. D’autant plus que Le Maire a voulu faire une présentation très à plat, thème par thème, car il estimait que ce n’était pas à lui de faire les arbitrages, mais Nicolas Sarkozy aime plutôt qu’on le surprenne, et là ce n’était pas le cas », raconte un témoin.
À l’Élysée, le secrétaire général Xavier Musca trouve d’ailleurs cette démarche assez « artificielle », et ne prend pas part aux discussions. Ce que Nicolas Sarkozy « achète » au moins dans le dossier de Le Maire, c’est le volet éducation, apprenant par cœur la fiche consacrée à cette thématique. Au même moment, Nicolas Sarkozy, alors en vacances dans le Var au Cap Nègre, dans la villa de sa belle-famille, commence à écrire un livre confession, avec l’aide de son épouse Carla, qui relit sa copie. Dans les premiers jets, une partie est ainsi consacrée à l’éducation, et d’autres développements concernent l’Europe, où le président tente des propositions « audacieuses », selon un des rares lecteurs.
Fin août, Bruno Le Maire n’a aucun retour de Nicolas Sarkozy. Celui qui ne voulait pas apparaître comme un simple soutier du président explique alors à ses interlocuteurs qu’il est au service de Jean-François Copé. Projet présidentiel, projet de l’UMP, Le Maire joue sur tous les tableaux, au point de commettre un impair irréparable. Sans prévenir l’Élysée, le ministre donne une interview à L’Express dans laquelle il promet un projet « à zéro euro » pour le pays : selon lui, toute nouvelle mesure doit être gagée par une économie. Il propose de fiscaliser les allocations familiales ou les allocations chômage des cadres. À l’UMP, c’est un tollé ! « À partir de là, c’est fini pour lui », note un observateur. Résultat, deux jours plus tard, le ministre, dépité, fera un discours « totalement vide » lors de l’université d’été de l’UMP.
Obligé de rentrer dans le rang, Le Maire devient alors le rapporteur du « comité de pilotage » qui se met en place à l’UMP, une véritable usine à gaz chargée de concocter le projet du parti. « Or, le président disait à l’époque que son projet ne serait pas celui de l’UMP ! » s’amuse un des participants. Dans ce nouveau travail, désormais en pleine lumière, Bruno Le Maire rencontre la plupart des éléphants du parti afin de préparer les trois conventions qui doivent se tenir en décembre : « C’était un véritable exercice de synthèse à la sauce Hollande, où chacun devait se mettre d’accord sur le plus petit dénominateur commun », raconte un responsable de l’UMP. Au final, les conventions feront un flop médiatique, pour la plus grande joie du président. Nicolas Sarkozy est (encore) le président, et il a besoin de prendre de la hauteur.
Capitaine dans la tempête
En attendant que Nicolas Sarkozy se déclare candidat, le secrétaire général de l’UMP, Jean-François Copé, soumet l’idée à Brice Hortefeux d’organiser la « riposte » au PS, au moment même où le Sénat bascule à gauche. Le fidèle ami de Nicolas Sarkozy, qui sait déjà qu’il ne sera pas le prochain directeur de campagne, se lance alors dans l’aventure de la « cellule riposte ». Avec l’aide de Geoffroy Didier, de Guillaume Peltier, et d’Alain Carignon, Brice Hortefeux va réunir tous les mercredis à l’UMP des ministres (Nadine Morano, Laurent Wauquiez et Nathalie Kosciusko-Morizet) et des élus (Éric Woerth, Éric Raoult, Franck Riester, Valérie Rosso-Debord, Sébastien Huyghe, Jérôme Chartier, Roger Karoutchi, Éric Ciotti, Bruno Beschizza, Christophe Béchu…).
L’idée d’une telle réunion n’est pas de diffuser les habituels « éléments de langage », mais plutôt de réfléchir à des arguments de fond, et de coordonner les prises de parole des uns et des autres. Les chaînes d’information en continu vont devenir un élément stratégique de la campagne : « Très tôt chaque matin, on s’appelait au téléphone pour que la riposte soit présente tous les jours dans les médias, raconte un député. On attendait que l’Élysée donne son aval après la réunion de 8h30 avec le président. Nous devions être réactifs pour être repris par les chaînes tout info qui font aussi l’info, car quand un sujet passe en boucle sur leurs antennes, les JT du soir sont quasi obligés de le reprendre… » En octobre, la riposte s’illustre avec le torpillage de l’accord Verts-PS. Deux mois plus tard, le quotient familial, et le « sale mec » confié en « off » par François Hollande à des journalistes seront dans le viseur de la cellule de Brice Hortefeux.
De son côté, le « chef de l’État » se plaît à jouer le capitaine dans la tempête. L’heure est au couple Merkozy et aux accents alarmistes. Enchaînant les sommets internationaux en pleine crise de l’euro, Nicolas Sarkozy est persuadé que son discours de « vérité » lui permettra de marginaliser François Hollande. Encore faut-il que la réussite soit au rendez-vous : « Si la France perd son triple A, je suis mort, confie Sarkozy en marge du sommet de Bruxelles, c’est là-dessus que la différence se fera sur Hollande. Nous devons tout faire pour le garder. »
Quelques jours plus tard, le meeting de Toulon du 1er décembre sera l’occasion de présenter aux Français et aux militants de l’UMP un Sarkozy aux commandes, maître de lui et de son destin. Si la consigne est alors donnée au public de ne pas apporter drapeaux ou autres signes distinctifs qui pourraient faire penser à une campagne électorale, Toulon est en fait symboliquement le premier meeting du futur candidat… Tout en étant financé par l’Élysée.
Une campagne à la Mitterrand
Depuis quelques semaines, Nicolas Sarkozy exhorte donc la France à s’adapter à la mondialisation pour mieux l’affronter. L’Allemagne est présentée comme un modèle. Pourtant, en cette fin d’année, le président a l’intuition qu’il devra, durant sa prochaine campagne, s’adresser en priorité à l’électorat populaire, comme en 2007, s’il veut espérer gagner. Cet électorat pour qui la mondialisation est « anxiogène ». À la rentrée, Jean-Baptiste de Froment avait d’ailleurs transmis au président une note sur l’ouvrage Fractures françaises, du géographe Christophe Guilluy, qui décrit cette France « des oubliés », des « invisibles », ces habitants des communes périurbaines : « C’est la clé de la campagne », estimait de Froment.
Très intéressé, Nicolas Sarkozy fait savoir à son conseiller qu’il souhaite rencontrer le géographe. C’est chose faite courant novembre : « Le bobo qui détourne la carte scolaire n’est pas tellement différent de l’ouvrier qui vote FN », explique Guilluy. Pour illustrer son propos, le géographe, visiblement un peu gêné, présente alors une carte au président. Il s’agit de lui montrer où se trouve cette « France périphérique ». Nicolas Sarkozy n’oubliera pas cette entrevue : au cours de sa campagne, il multipliera les déplacements dans « cette France où il n’y a rien ». Car, comme le notait le géopolitologue Yves Lacoste, « la géographie, ça sert d’abord à faire la guerre ».
Justement, Nicolas Sarkozy espère encore pouvoir mener une campagne Blitzkrieg (« guerre éclair », en allemand). « Il rêvait d’une campagne courte comme Mitterrand en 1988. C’était l’idée qu’on pouvait court-circuiter la campagne. Sarkozy était presque dans le déni. C’est vrai qu’un président sortant rêve toujours d’une non-campagne », confie un proche. Le président veut une campagne courte, très courte : dans son entourage, on parle alors de cinq grands meetings en cinq semaines à peine !
Président jusqu’au bout. Mais contrairement à Mitterrand en 1988, Nicolas Sarkozy n’est pas en situation de cohabitation. Mitterrand avait choisi le silence et l’immobilité. Lui choisit la parole et l’action. Lors de ses vœux du 1er janvier, il décide de frapper un grand coup en annonçant la mise en place d’une TVA « antidélocalisation » et d’une taxe sur les produits financiers à l’échelle de la France, contre l’avis de la plupart de ses conseillers et des hauts fonctionnaires de Bercy : « Refusant le vide en cas d’échec, le président a multiplié les annonces dans une sorte de fuite en avant », persifle l’un d’eux.
Alors, lorsque l’agence Standard & Poor’s retire à la France son triple A vendredi 13 janvier, Sarkozy est sonné. À l’UMP, c’est l’incrédulité. Le moral est à plat. Les sondages, mauvais. Pire, alors que Nicolas Sarkozy multiplie les annonces, les instituts de sondage soulignent que les enquêtés trouvent ce dernier comme absent, lointain, éloigné de leurs préoccupations. Bref, le président est inaudible : « C’est une stratégie foireuse qui n’a pas du tout marché, critique un conseiller. Tant qu’il ne s’était pas déclaré candidat, toutes les annonces qu’il pouvait faire étaient associées à une présidence finissante. »
Confidences pour confidences
La fin de l’histoire : Nicolas Sarkozy tente de mettre en scène cette éventualité. Lors de son déplacement en Guyane le 21 janvier à Cayenne, il réunit plusieurs journalistes pour une discussion à bâtons rompus : « Si je perds, c’est une certitude : j’arrête la politique, je changerai de vie complètement. Vous n’entendrez plus parler de moi, leur confie-t-il, Je me sens comme si j’avais 22 ans. J’aime profondément la vie. Je peux voyager. J’ai un métier. Je commencerai mes semaines le mardi, je les terminerai le jeudi. Ce serait nécessairement moins fort que ce que je vis aujourd’hui. » Ces confidences ne doivent rien à l’improvisation. Contre l’avis de ses conseillers Patrick Buisson, Jean-Michel Goudard, et Franck Louvrier, le grand affectif qu’est Nicolas Sarkozy a voulu créer une nouvelle relation avec des journalistes qui, pour la plupart, n’avaient pas connu la campagne de 2007.
Pourtant, en ce mois de janvier, Sarko n’a « pas la banane », comme il le dit à quelques proches. Son horizon s’assombrit. Le dimanche 22 janvier, son principal concurrent, François Hollande, réussit brillamment son discours du Bourget. Troublant : le meeting socialiste ressemble furieusement à celui de Sarkozy du 14 janvier 2007 à la porte de Versailles, qui avait alors lancé sa campagne. Les images s’entrechoquent : cette année, le président semble à la peine lors d’une émission télévisée à l’Élysée, diffusée fin janvier à la fois par TF1, France 2, BFM TV et I-Télé.
Sarkozy trouve pourtant l’énergie pour regonfler le moral de ses troupes. Le 31 janvier, il reçoit députés et sénateurs dans la salle des fêtes de l’Élysée. Une bonne nouvelle vient de tomber : l’Inde a décidé d’entrer en négociations exclusives avec le groupe Dassault pour signer un éventuel contrat sur 126 Rafales. Mais l’annonce d’une augmentation de la TVA ne passe toujours pas dans la majorité. C’est le député du Nord, Christian Vanneste, connu pour ses envolées anti-homos, et pro-colonisation, qui ouvre le bal en interrogeant le président sur son idée de TVA « antidélocalisation » : « Pourquoi maintenant ? » Sarkozy lui répond : « C’est déjà bien de le faire. C’est l’occasion. Par le passé, il y a eu des grandes réformes comme l’IVG ou la suppression de la peine de mort. En politique, il faut savoir prendre les décisions au bon moment. D’ailleurs, Christian, sur l’avortement justement, je me demande si ça n’a pas été fait trop tôt. Car il faut aussi que le corps social soit d’accord. » Sarkozy aurait-il déjà l’idée d’une campagne à droite toute ?
En tout cas, les parlementaires s’impatientent : « Je sais très bien où je vais, répond du tac au tac le président. J’ai déjà fait une campagne présidentielle. Rassurez-vous, je ne fais pas les choses au hasard. Respectez mon tempo. Je ne peux pas me permettre de partir en campagne trop tôt. Les Français ne le comprendraient pas. Mais je vous entends. Je sais bien, ça serait plus facile pour vous, et… plus facile pour moi. On me dit que c’est un suicide ? Eh bien, je suis le suicidé le plus en forme de France. » Sarko se transforme en super coach de la majorité : « N’ayez pas peur de cogner », leur dit-il. Et répète qu’il a tout prévu… sauf la perte du triple A. Rares sont ceux qui résistent à son argumentaire : « Hollande va s’effondrer », assure-t-il.
Plus tôt dans la journée, Nicolas Sarkozy avait expliqué au petit-déjeuner des responsables de la majorité : « Je veux un continuum entre le bilan et le projet. C’est beaucoup mieux d’affirmer : “Je veux faire cela dans les cinq ans à venir” que de dire “Je n’ai pas pu faire cela dans les cinq ans à venir”. »
Mais Sarkozy est tiraillé. À la fois impatient de se jeter dans l’arène, et incapable de se défaire de son costume de président. Après la « rupture » tant déclamée en 2007, Sarkozy doit désormais rompre avec lui-même.
Patrick Buisson en force
Pour certains, les jeux sont déjà faits. En privé, le Premier ministre François Fillon assure que « c’est quasiment plié » et que « le rejet sur sa personne est beaucoup plus important qu’il ne veut bien l’avouer ». Même son de cloche du côté de Claude Goasguen qui ose : « Même dans le XVIème, les gens ne veulent plus de Sarko. » Situation critique pour le président alors que des sondages en faveur de Bayrou pourraient transformer ce dernier en possible recours. L’égalité du temps de parole imposée en télé et radio par le CSA un mois avant l’élection finit de convaincre Sarko de précipiter son entrée en campagne.
Il prend sa décision tout début février. Et opte pour une campagne clivante, transgressive, identitaire. Fini la crise économique, le capitaine dans la tempête. Place aux valeurs, aux frontières, à la lutte contre l’immigration. Une stratégie concoctée depuis des mois par son conseiller de l’ombre, Patrick Buisson, l’ancien journaliste d’extrême droite de Minute et de Valeurs Actuelles, passé un temps à TF1, disciple de Charles Maurras et de Raoul Girardet. Dès 2009, Buisson analyse les raisons de la dégradation vertigineuse de la cote de popularité du président. Il considère que le clivage droite-gauche est dépassé, qu’il faut lui substituer celui du peuple contre les élites : « Une élection ne se gagne ni à droite ni au centre. Elle se gagne au peuple », assure-t-il. « Buisson a mis du temps à convaincre Sarkozy d’y aller. Mais quand le président se rend compte qu’il faut y aller, il achète Buisson. Et quand, il achète, il achète ! », s’enthousiasme un des élèves Buisson.
Dans l’équipe qui compose la réunion de pilotage – celle qui se tient chaque soir dans le salon vert de l’Élysée, à côté du bureau du président –, le sondeur Pierre Giacometti, le responsable com’ Franck Louvrier, et le secrétaire général de l’Élysée, Xavier Musca, davantage favorables à une ligne de centre-droit, encaissent difficilement, mais ne mouftent pas. Au final, Pierre Giacometti transmettra les sondages mais ne dira pas grand-chose. Franck Louvrier gérera la presse sans peser vraiment sur l’orientation de la campagne. Camille Pascal, mis sur la touche, apportera son soutien silencieux à Buisson. Et le publicitaire Jean-Michel Goudard s’attachera à mettre l’ensemble en musique avec brio. « Buisson dominait sur tout », se souvient un conseiller.
Dans un premier temps, le républicain Henri Guaino se laisse même séduire, satisfait que la ligne des « technos » soit abandonnée et que la thématique des frontières revienne en force. Même si personnellement, il continuera à plaider pour un discours plus rassembleur et plus économique, s’adressant d’abord à « cette France qui a voté “non” au référendum de 2005 ».
Un péplum pour Sarko
Dès lors, il n’y a plus de temps à perdre. L’interview accordée au Figaro magazine – un choix de Patrick Buisson – est mise en boîte le vendredi 3 février. Le week-end servira pour les relectures. Les membres de la réunion de pilotage pourront lire la dernière version avant le dimanche soir. À peine arrivée dans l’équipe, Emmanuelle Mignon, ex-dir cab de Sarkozy, et ancienne « architecte en chef » du projet présidentiel de 2007, a le privilège de relire une copie de l’interview. « Mais Mignon est arrivée trop tard, déplore un membre de l’UMP. Elle n’aura pas de rôle réellement stratégique durant la campagne. En 2007, elle avait réussi la synthèse de la droite, séduisant même des gens de gauche ! Mais à l’époque, elle avait une page blanche devant elle. En 2012, elle deviendra très vite l’alliée de Buisson, qui l’a fait venir. »
L’interview a été préparée dans la plus grande discrétion. À l’UMP, seuls Alain Juppé et François Fillon en reçoivent une copie deux jours avant la publication. Samedi 11 février, c’est l’événement. L’édition du Figaro magazine sera épuisée en quelques heures. L’interview de Nicolas Sarkozy donne le ton de sa campagne : le futur candidat évoque « les racines chrétiennes de la France », s’oppose à l’ouverture du mariage pour les homos, et propose d’organiser des référendums sur l’indemnisation du chômage et sur l’immigration.
Dans les coulisses, les petites mains s’activent. Après de multiples visites entre décembre et janvier, un local de campagne est finalement trouvé dans le XVème arrondissement, 18 rue de la Convention: ni trop bourgeois, ni trop éloigné des domiciles du candidat, tout en étant au cœur du Paris médiatique. Mauvaise nouvelle pour l’architecte : comme la campagne est avancée d’une quinzaine de jours, il a seulement huit jours pour les travaux !
Au même moment, l’équipe du salon vert décide que Nicolas Sarkozy annoncera officiellement sa candidature dans le 20 heures de TF1 du 15 février. C’est le choix de Patrick Buisson qui considère que le public de la première chaîne correspond davantage à sa cible fétiche, « les oubliés ». Franck Louvrier préférait le JT de France 2, un format plus long, qui aurait permis à Nicolas Sarkozy de « purger » le Fouquet’s et le yacht de Bolloré dès le début de sa campagne. Le slogan « la France forte » est proposé au reste de l’équipe par Jean-Michel Goudard. Ce dernier réfléchissait en fait à des slogans autour de la thématique « de la force » depuis le début de l’automne, et en avait déjà parlé fin décembre à Franck Louvrier, en marge d’un déplacement en Ardèche. Patrick Buisson est ravi : « C’est très bien. »
Pour accompagner cette campagne qui s’annonce dure et tournée vers le culte du chef – car pour Buisson, le peuple aime les chefs – Goudard a l’idée de commander une musique de meeting façon péplum. « Nous avons fait une campagne totalitaire, décrypte après-coup un sarkozyste, Sarkozy était comme momifié sur son affiche de campagne façon Corée du Nord. La police d’écriture du slogan était robotique, et il n’y avait pas un village à l’horizon. »
Dans ce contexte, Nicolas Sarkozy impose pourtant le choix de Nathalie Kosciusko-Morizet comme porte-parole de la campagne, contre l’avis de Buisson qui aurait plutôt aimé promouvoir à ce poste l’un de ses disciples, Laurent Wauquiez. En faisant le choix de NKM, Nicolas Sarkozy veut adoucir son image. Preuve qu’au final, c’est lui seul qui décide de sa campagne. « Hollande, je ne vais pas le laisser respirer. Ce sera trois idées nouvelles par jour. Il ne va pas comprendre ce qui lui arrive, et je vais le mettre en charpie », fanfaronne ainsi Sarkozy le 14 février devant les responsables de la majorité.
Sous-estimerait-il son concurrent ? À la même période, le patron chiraquien François Pinault, férocement anti-sarkozyste, rencontre pourtant François Hollande. Et à Londres, lors d’un colloque organisé par le président d’honneur de Saint-Gobain, Jean-Louis Beffa, le Premier ministre David Cameron fonce droit sur Laurent Fabius, représentant de François Hollande, pour le saluer, ignorant superbement les sarkozystes Baroin et Pécresse, également présents.
Brainstorming au QG
Si la campagne est d’abord pilotée à l’Élysée, on s’active tout de même au QG. Les « cerveaux » que sont les jeunes trentenaires Jean-Baptiste de Froment et Sébastien Proto, ex-dir cab d’Éric Woerth et de Valérie Pécresse, ainsi qu’Olivier Henrard, ex-conseiller culture à l’Élysée, sont notamment chargés de recycler le projet de Bruno Le Maire en fonction des déplacements du candidat. Chaque semaine, un thème. De son côté, Emmanuelle Mignon s’enferme dans son bureau – travaillant souvent la nuit entre 20 heures et 6 heures du matin – pour réécrire le livre de Nicolas Sarkozy. Un livre trop fleur bleue, trop mea culpa, et trop techno à la fois, au goût de Patrick Buisson.
La logistique est assurée par l’ancien chef de cabinet de l’Élysée, Guillaume Lambert, propulsé directeur de campagne. « C’est le maître du temps du président lors de ses déplacements mais il n’a pas beaucoup de sens politique », note un membre du QG. C’est l’UMP, et notamment Jérôme Lavrilleux, dir cab de Jean-François Copé, et Éric Césari, directeur général, qui se charge d’organiser les meetings. Des salles entières ont été réservées à l’avance, mais les meetings sont généralement décidés au dernier moment, entre 48 heures et 72 heures à l’avance. Et adaptés aux chaînes tout info : « Les meetings étaient organisés pour les 500 000 téléspectateurs qu’on avait à chaque fois. »
De leur côté, les ministres se plaignent d’être mis à l’écart, et se moquent d’une équipe de campagne « pas assez politique ». Lors des comités stratégiques, les « chapeaux à plume » de l’UMP pourront tout de même donner leur avis. Au cours de la campagne, Sarkozy les écoutera, leur redonnera le moral, mais refusera toute discussion contradictoire. Seul l’ami Hortefeux n’hésitera pas à lui parler franchement lors de leurs débriefings téléphoniques de fin de soirée. Durant les premiers meetings – Marseille, Lille, Bordeaux – Nicolas Sarkozy n’est pas au mieux de sa forme. Il lit rapidement ses discours, ne s’arrête jamais, comme s’il refusait de jouer avec le public. L’ambiance n’est pas bonne, même si les jeunes UMP font tout pour garder le sourire.
Patrick Buisson estime que ses discours, tous écrits par Henri Guaino, manquent considérablement de chair en 2012. Pire, les premiers déplacements thématiques sont des échecs. La semaine du 27 février qui devait être consacrée à l’éducation est pour le moins calamiteuse. L’axe fort de la campagne présidentielle va se trouver carbonisé. Dès le lundi matin, Nicolas Sarkozy, lors d’une interview à RTL, mélange les chiffres et les dates sur l’évolution du nombre de profs et d’élèves. Le soir même, François Hollande fait son annonce surprise sur une nouvelle tranche d’impôt à 75% pour les revenus supérieurs à 1 million d’euros. « Comme si Hollande avait compris le danger de nos propositions sur l’éducation, explique un conseiller, et avec son annonce surprise, il nous a littéralement cornérisés. » Car le lendemain Le Figaro préfère critiquer les 75% plutôt que d’évoquer les propositions de Nicolas Sarkozy sur l’éducation… Et les responsables de l’UMP retrouvent leurs réflexes en soutenant les riches, une posture totalement à rebours de la défense du peuple souhaitée par Buisson.
« Nicolas Le Pen »
Mais ce n’est pas terminé : finalement peu à l’aise avec le monde éducatif, Nicolas Sarkozy annulera un déjeuner avec des professionnels du secteur, et ne fera qu’un seul déplacement thématique dans un internat d’excellence. Mais la catastrophe a lieu le 1er mars lorsque le président-candidat se fait huer et bousculer par des militants indépendantistes et de gauche dans le centre de Bayonne. Un déplacement exceptionnellement organisé par l’Élysée – et non par le QG ou l’UMP – avec Michèle Alliot-Marie…
Bref, en ce début mars, la campagne Sarkozy patine. La polémique sur le halal lancée par Marine Le Pen en est un autre exemple. Alors que dans un premier temps Nicolas Sarkozy refuse d’en faire une question à traiter, il finira huit jours plus tard par dénoncer le manque de « traçabilité » autour du halal, sur les conseils de Patrick Buisson. « Arrêtons de nous laisser intimider en n’allant pas sur des sujets qui intéressent les Français. Et puis dès qu’on parle d’économie, on plonge dans les enquêtes d’opinion », explique le conseiller à Sarkozy.
La contre-offensive est menée à la télévision lors de l’émission Des paroles et des actes de David Pujadas sur France 2. La séquence émotion-confession est préalablement dealée entre les journalistes du service public qui souhaitent faire de l’audience et Franck Louvrier. C’est entendu, Nicolas Sarkozy s’expliquera sur le Fouquet’s, Cécilia Sarkozy et le yacht de Bolloré. Et ils ne seront pas déçus : dans un exercice de contrition personnelle qu’il affectionne tant, Nicolas Sarkozy crève l’écran. Et face à son adversaire « normal », reprend pied dans la bataille des images : « Cette fois-ci, j’ai une famille, une famille solide, et je sais où je pourrais fêter cette victoire : avec ceux que j’aime, avec ma femme et mes enfants et peut-être quelques amis. » Lors de l’émission, Nicolas Sarkozy annonce également son intention de diviser par deux l’immigration légale : « Il y a trop d’étrangers en France », lance-t-il.
Tout est prêt pour la démonstration de force de Villepinte le 11 mars : « Nous avons deux mois pour bâtir la plus formidable des aventures, deux mois pour bousculer les certitudes, pour tout renverser, pour les faire mentir, pour faire triompher la vérité. J’ai besoin de vous », s’exclame-t-il à la tribune. Dans son discours, il ira jusqu’à remettre en cause le traité de Schengen. Emmanuelle Mignon serait l’inspiratrice d’une telle idée. Et deux jours plus tard, The Wall Street Journal titre son éditorial par « Nicolas Le Pen », alors que Le Monde interviewe sur deux pages Patrick Buisson. À Villepinte, Henri Guaino avait bien eu l’honneur d’intervenir à la tribune juste avant son candidat préféré…
Mais peu importe pour Sarkozy, car quelques jours plus tard, les courbes Hollande-Sarkozy dans les sondages se croisent. Pour la première fois, il est en tête. Entre décembre et avril, Sarkozy est ainsi passé de 22 à 28% dans les sondages. « Un exploit », reconnaît un responsable de droite non sarkozyste. Devant ses collaborateurs, Nicolas Sarkozy fait dans la méthode Coué : « On va y arriver, je sens quelque chose », répète-t-il. « On a connu une campagne bipolaire, passant de moments d’euphorie à des moments de déprime », se souvient un des conseillers. « Je connais un médicament très efficace qui n’est pas remboursé par la Sécurité sociale, ce sont les sondages à la hausse », confie Nicolas Sarkozy à ses troupes à la mi-mars.
À la recherche de Borloo
Mais ces bons sondages vont persuader Nicolas Sarkozy de préparer dès à présent la campagne du second tour. En recentrant. Meeting de Villepinte, visite à Meaux, ville de Jean-François Copé, à chaque fois, Jean-Louis Borloo est annoncé à la presse, mais le président du Parti radical semble se raviser au dernier moment, et poser un lapin aux équipes sarko : « En fait, avant même de nous en parler, c’est eux qui nous annonçaient à Villepinte et à Meaux. Les deux fois, ils nous ont mis devant le fait accompli. Comme si Sarkozy voulait afficher à tout prix le président du Parti radical à son palmarès, faire une photo à ses côtés », confie un des proches de Borloo.
Car si les troupes du Parti radical ont décidé de soutenir finalement Sarkozy, c’est à condition que ce dernier reprenne plusieurs propositions du parti. Et pour l’instant, aucun signe de ce côté-là : nada, niet, rien. Borloo marche donc sur des œufs car il doit contenir ses propres troupes. Entre les deux hommes, c’est un peu je t’aime moi non plus. Attraction, répulsion. Sarkozy admire le fulgurant parcours de l’avocat d’affaires à qui tout réussissait jusqu’à faire la une de Forbes au top de sa carrière. Borloo est soufflé par l’énergie du président. Celui-ci a d’ailleurs longuement hésité à en faire son Premier ministre en novembre 2010 lors du renouvellement gouvernemental.
Reste que l’inflexion sociale de la campagne attendue par de nombreux centristes se fait toujours attendre… Le 23 mars, Borloo finit par accueillir à Valenciennes « son » candidat à la présidentielle. L’ancien super ministre du développement durable veut montrer à la presse sa politique de rénovation urbaine, et propose à Sarkozy de prendre le tramway afin de découvrir plusieurs quartiers de sa ville. Branle-bas de combat au QG qui a peur de revivre le douloureux épisode de Bayonne : chacun tente de dissuader l’équipe Borloo et Sarkozy de faire une petite promenade ensemble au milieu des habitants. Sans succès. Tout se passe pourtant bien sur les terres de Jean-Louis Borloo…
« Pour me flinguer »
Malgré les sourires devant les caméras, Nicolas Sarkozy va entrer durant cette deuxième moitié de mars en zone de turbulences. Le 18 mars, Nathalie Kosciusko-Morizet déclare sur France 3 qu’elle irait voter Hollande en cas d’un duel Hollande-Le Pen. Patrick Buisson est furieux. Alors que NKM n’était pas encore intégrée à la réunion de pilotage de l’Élysée – le cœur nucléaire de la campagne – il est décidé de l’intégrer.
Quelques jours plus tard, l’affaire Merah, qui va interrompre la campagne, et la mise en place des règles de temps de parole dans les médias audiovisuels « vont casser la dynamique de Sarkozy », estime un sarkozyste. C’est alors que Valérie Pécresse et Alain Juppé, chauds partisans d’un recentrage de la campagne, vont expliquer dans les médias que François Bayrou pourrait faire un bon Premier ministre sous une présidence Nicolas Sarkozy. Hors de lui, Nicolas Sarkozy appelle Alain Juppé pour lui exprimer son mécontentement. Pourtant, le candidat lui-même avait expliqué peu avant que l’idée d’ouverture était bonne.
Au grand dam de Patrick Buisson qui considère que ces déclarations centristes ont fait perdre de précieux points à Nicolas Sarkozy. De retour du week-end de Pâques, le conseiller grogne et jure qu’il faut poursuivre sur l’immigration, l’islam et la sécurité, alors qu’Henri Guaino plaide pour une inflexion sociale. Mais l’urgence de ce début d’avril est de répondre aux socialistes qui attaquent désormais le candidat de droite sur l’absence de son projet. Sarkozy est pris de cours, lui qui voulait construire principalement sa campagne sur des effets d’annonce lors de chacun de ses meetings. « Le président ne voulait pas se faire cornériser sur un projet. Il est convaincu qu’un projet est un piège que ses ennemis lui tendent », se souvient un de ses collaborateurs. « Les mecs me demandent mon projet. Je ne leur donnerai pas. C’est comme si on me donnait rendez-vous pour me flinguer », explique Nicolas Sarkozy à ses interlocuteurs en mimant une cible au niveau de son cœur.
Le candidat se résout pourtant à organiser une conférence de presse, et décide de diffuser « une lettre aux Français ». C’est Emmanuelle Mignon qui se charge de l’écrire après que la publication du livre confession a été abandonnée en cours de route. De son côté, Sébastien Proto tente un chiffrage hasardeux du projet, contesté par l’Institut de l’entreprise. « Ça a tué la crédibilité économique de Nicolas », déplore un membre du groupe Fourtou.
Début avril, c’est également Sarkozy qui décide seul d’organiser un meeting à la Concorde pour contrer le rassemblement des socialistes à Vincennes. « Il faut qu’on fasse la même chose, sinon on est mort. » Patrick Buisson se bat pour que Sarkozy propose lors de ce meeting la suppression des allocations aux fraudeurs. Sans succès. À la place, Henri Guaino en profitera pour faire un discours dans lequel il rappellera « le rôle de la BCE dans le soutien à la croissance », alors même que son candidat s’est battu contre cette idée depuis des mois !
Une fête du « vrai travail »
Peu importe. Nicolas Sarkozy félicite Patrick Buisson le soir du premier tour, « car, selon lui, s’il n’avait pas fait cette campagne, le FN aurait été à 25 % », rapporte un témoin. L’homme de l’ombre est d’ailleurs présent à la Mutualité, lui qui d’habitude se fait si discret… Dans sa loge, Nicolas Sarkozy savoure le resserrement de l’écart entre lui et François Hollande au cours de la soirée : « Dire que certains me conseillaient de faire campagne au centre ! » Il annonce qu’il compte organiser une « fête du vrai travail » le 1er mai. L’idée vient d’une note de Guillaume Lambert qui évoquait une « vraie fête du travail ». La maladresse ne sera relevée que deux jours après. En attendant, alors que France 2 présente de mauvaises estimations, le président-candidat engueule au téléphone son ministre de l’Intérieur, Claude Guéant, coupable à ses yeux de ne pas avoir fait assez tôt un point presse sur les premiers résultats officiels. De son côté, Brice Hortefeux y croit : « On va gagner ! » lance-t-il.
Contre toute attente, la campagne du second tour se fait donc à droite toute. Dénonciation de l’islamisation, des étrangers, de l’assistanat, des journalistes. « Nous voulons qu’on respecte notre mode de vie car nous ne voulons pas changer notre mode de vie », déclare Sarkozy à Longjumeau. Des affiches « Non au droit de vote des étrangers, non à Hollande » sont diffusées par l’UMP. « Le discours que tu laisses d’habitude à une association étudiante comme l’UNI, qui joue le rôle de rabatteurs, est devenu le discours officiel », s’étonne un militant. Évidemment, Jean-Louis Borloo préfère fuir les médias.
Du côté de l’équipe Sarkozy, on frôle l’hystérie ou l’épuisement. C’est selon. Henri Guaino semble fatigué. Le premier jet de son discours pour le meeting du Trocadéro pour le 1er mai n’est pas bon. Patrick Buisson l’étrille, le modéré Pierre Giacometti n’est pas non plus satisfait. Le matin même, une séance de travail est improvisée pour aider le soldat Guaino à réécrire le discours. Même ambivalence chez Nicolas Sarkozy. D’un côté l’exaltation – il explique ainsi à des journalistes : « Vous verrez, je vais gagner. Vous allez vous prendre un seau d’eau froide le 6 mai » –, et de l’autre la lassitude.
Pour préparer son débat avec François Hollande, il va ainsi se préparer seul lors d’une petite après-midi, sans séance de coaching. « Il n’a pas préparé de formules choc », regrette l’un de ses conseillers. Après l’épreuve, il tentera de se rassurer : « Bon à ce niveau-là, on ne s’effondre pas ». Ses conseillers le félicitent mais le cœur n’y est pas. Olivier Biancarelli fait état des réactions forcément positives des élus.
Prophétie autoréalisatrice
Durant les trois heures de débat, les « hommes du président » ont pourtant souffert, voyant leur champion affaibli face à un Hollande particulièrement pugnace et brillant. « Nicolas Sarkozy n’a pas réussi à avoir un angle d’attaque nouveau, il n’avait pas de stratégie. Ce fut un échec », résume l’un d’eux. Dans la loge, Emmanuelle Mignon est furieuse, regrettant que le président n’évoque pas le cas « Tristane Banon ». Jean-Michel Goudard n’est pas satisfait non plus. Ni Carla Bruni. Le lendemain, lors de son dernier meeting, de retour à Toulon, Sarko 1 er déclare : « Je sens la vague. » Mais son jouet fétiche, la prophétie autoréalisatrice, est cassé.
Le 6 mai, les premiers sondages tombent à l’Élysée dans l’après-midi. C’est perdu. Il a été tenté de tout lâcher. « S’il avait fait du Jospin, il aurait cassé sa famille politique », note un responsable de l’UMP. Finalement vers 18 heures, l’écart se resserre jusqu’à 48,38% pour Sarkozy. Quand il l’apprend, il lance : « Regardez, tout le monde m’acclame. » Toujours le déni. Mais ce déni lui aura permis durant toute la campagne de transporter les foules et ses plus proches collaborateurs. Son rôle personnel fut central. « Sa puissance de conviction n’aura pas servi à rien. Il a réussi à ce qu’il y ait une vraie bataille jusqu’au bout », confie un proche.
À l’Élysée, lorsqu’il arrive finalement à 19h20 devant les responsables de la majorité et qu’il leur dévoile son discours, il leur lance : « Il y a d’autres échéances, il faut s’y mettre à fond. » Puis, dans sa loge de la Mutualité, Nicolas Sarkozy réconforte son entourage. Quelques jours plus tard, quand il fera ses adieux à l’ensemble de son cabinet, il expliquera : « Le style, c’est ce qui compte. C’est la civilisation. Il faut travailler le style, car c’est aussi travailler l’intérieur. » Nicolas Sarkozy aurait-il changé après cinq ans à l’Élysée ?
« On est triste vous savez Monsieur le président », déclare Xavier Musca. « De la tristesse, oui mais pas d’amertume ou de colère. C’est autorisé la tristesse, car on peut avancer avec », répond Sarkozy, soudainement apaisé. Ajoutant : « Vous allez tellement vous ennuyer que vous allez pouvoir me voir. »
Le lendemain de la passation de pouvoir, le groupe Fourtou s’est réuni. L’un des membres lance : « Si on a aimé la conquête, on aimera peut-être la reconquête. »