Quand Macron rêve encore de 2032
Des proches du président évoquent de nouveau la perspective d'un troisième mandat pour le chef de l'État, qui redouble en privé d'animosité contre Attal ou Philippe, au profit de Castex.
Le pouvoir est son moteur. Emmanuel Macron est un dingue de pouvoir. Ses adversaires et ses contempteurs ont tendance à oublier cette donnée pourtant essentielle. Ce qui met en mouvement le plus jeune président de la République n’est ni l’argent ni la reconnaissance, ou même l’amour de son public. C’est le pouvoir. Et c’est sa soif insatiable de pouvoir qui l’amène depuis le début de son deuxième quinquennat à envisager un troisième mandat, afin de marquer l’Histoire de la 5ème République.
Très tôt, c’est-à-dire dès le 5 octobre 2022, j’évoque cet « objectif 2032 » d’Emmanuel Macron dans un article de La Tribune : « Dans ce scénario un peu fou, il ne serait alors pas simplement le plus jeune président de la 5ème République, il réussirait aussi l'exploit de se faire réélire le plus, manière de terrasser une bonne fois pour toutes ses illustres prédécesseurs, De Gaulle et Mitterrand compris ». À l’époque, c’est une source au cœur de la machine élyséenne qui m’assure que cette perspective - un troisième mandat - n’est pas qu’une vue de l’esprit, mais un véritable projet (secret) du président.
Objectif 2032 et le fantasme d’un scénario 2027
Laisser planer le doute sur ses intentions futures est alors un moyen pour Emmanuel Macron de tenter de conserver le contrôle alors que, dès 2022, les ambitions présidentielles se multiplient au sein de la macronie. Ce bruit autour de la possibilité d'un troisième mandat d'Emmanuel Macron a l'avantage de mettre fin à une autre petite musique, celle qui fait déjà du président un has been. Car la force d'Emmanuel Macron ne tient que s'il peut continuer à mettre en scène son ambition, sa vista, son destin. Tout arrêt de son aventure le ramène immédiatement dans les poussières de la politique... Or, Macron n'a pas encore l'âge de réfléchir, façon Mitterrand, à un hypothétique au-delà, à une éternité. Cette ficelle avait permis à son illustre prédécesseur de façonner sa légende jusqu'au bout, lui qui confia, lors de ses derniers vœux présidentiels aux Français, croire aux « forces de l'Esprit ».
Objectif 2032, et non 2027. Car depuis la réforme constitutionnelle de 2008 voulue par Nicolas Sarkozy, la limitation de deux mandats présidentiels consécutifs a été instaurée. Très vite pourtant, l’idée émerge dans le petit Paris du pouvoir qu’Emmanuel Macron pourrait trouver un moyen de se faire élire consécutivement une troisième fois. Le 28 novembre 2022, un tweet de Georges Malbrunot, grand reporter diplomatique au Figaro, va commencer à mettre le feu aux poudres : « Analyse d'un service de renseignements français: "En 2023, Macron fera passer la réforme des retraites en recourant au 49-3 puis il dissoudra l'assemblée. Il démissionnerait ensuite, faute de majorité. Ce qui lui permet de se représenter dans la foulée ou au scrutin suivant" ».
Huit mois plus tard, le 18 juin 2023, c’est Richard Ferrand, fidèle grognard du président et ancien patron de l’Assemblée Nationale, qui évoque lui-même la perspective d’un troisième mandat dans une interview donnée au Figaro dans laquelle il dit regretter que le président ne puisse se représenter en 2027 et laisse entendre qu’il faudrait réformer la Constitution. « A titre personnel, je regrette tout ce qui bride la libre expression de la souveraineté populaire », défend-il alors, déplorant la « limitation du mandat présidentiel » qui « corsète notre vie publique ». « Changeons tout cela, appelle-t-il de ses vœux, en préservant le bicamérisme et le Conseil constitutionnel, gardien vigilant des principes républicains et des libertés publiques. » Il est nécessaire de rappeler ces propos, car en février dernier, l’intéressé les a niés devant des députés qui l’interrogeaient alors qu’il était en campagne pour ravir la présidence du Conseil Constitutionnel.
Ils poussent à une élection présidentielle anticipée
Manifestement, l’heure n’est plus au rêve d’un troisième mandat consécutif pour Emmanuel Macron. Au contraire, depuis sa dissolution ratée de juin 2024, nombreux sont les responsables politiques à parier sur une élection présidentielle anticipée. Certains espèrent ardemment qu’un tel scénario se concrétise dans les prochains mois, et d’autres essayent même en coulisses de pousser pour que tout cela se réalise... Tout est bon pour déstabiliser le président et le pousser à bout.
Dans un tel dessein, les tensions avec l’Algérie sont un terreau fertile, Bruno Retailleau ne s’y est pas trompé, j’y reviendrai dans quelques jours. Et si devant la pression des événements, Emmanuel Macron démissionnait ? Ce serait une autre manière pour lui d’entrer dans l’Histoire… par la petite porte.
De fait, Jean-Luc Mélenchon est peut-être le seul à appeler publiquement à une élection présidentielle anticipée, mais c’est en réalité au sein des troupes (ex)-macronistes que ce désir est le plus fort. Parmi les anciens d’un « bloc central » en pleine décrépitude, beaucoup souhaitent déjà tourner la page d’Emmanuel Macron. Résultat, depuis l’automne, tous les ambitieux qui rêvent de présidentielle en macronie se préparent à toute éventualité, Gabriel Attal et Édouard Philippe en tête. Rappelons que pour sa rentrée politique début septembre 2024, ce dernier s’est présenté sans gêne comme un recours en annonçant dans Le Point qu’il sera candidat à la prochaine présidentielle, et ce, en pleine crise politique, et sans attendre la nomination d’un nouveau Premier ministre à Matignon.
« Édouard se prépare, mais cela ne peut vraiment se jouer qu’après juin prochain, car pour l’instant, nous n’avons aucun intérêt à empêcher le président comme personne ne peut dissoudre l’Assemblée. On n’a donc aucun intérêt à précipiter les événements car on pourrait se retrouver avec une chambre sans majorité », tempère un proche de Philippe qui s’essaye lui aussi, sans gêne, à la politique fiction. Chez Horizons, on se prépare en tout cas à toute éventualité pour l’après juin : dans chaque département, le mouvement fondé par l’ancien Premier ministre fait remonter des noms susceptibles de passer en commission d’investiture pour de prochaines élections législatives.
C’est à l’aune de ces grandes manœuvres en coulisses qu’il faut comprendre les off d’incompréhension qui se sont multipliés au sein du gouvernement ou chez les parlementaires de l’ex-macronie - alors que ces derniers ne disposent d’aucune majorité à l’Assemblée Nationale, faut-il le rappeler… - après la publication la semaine dernière par l’agence Bloomberg d’un article évoquant les réflexions d’Emmanuel Macron autour d’une éventuelle nouvelle dissolution, une arme institutionnelle dont le président disposera de nouveau après juin prochain. Coûte que coûte, Emmanuel Macron semble bien décidé à reprendre la main.
Le retour de l’objectif 2032 pour conjurer la fin de règne
Une perspective insupportable pour beaucoup. D’autant qu’après la dissolution ratée de juin 2024, la vista d’Emmanuel Macron semble être de retour, ou du moins, la chance ! À la faveur de la situation internationale, avec la victoire (pourtant prévisible) de Donald Trump aux États-Unis, le président français a suscité une vague de sympathie parmi les éditorialistes anglo-américains ou européens. Et face au danger russe, une partie des médias français a clairement mis la sourdine sur leurs critiques naissantes contre Emmanuel Macron et le bilan de son « septennat » virtuel.
Fini l’ambiance fin de règne, place à l’unité nationale qu’on a pu déjà connaître en 2022 en pleine campagne présidentielle. Résultat, le président Macron a bénéficié en quelques semaines d’un sursis de popularité dans les sondages d’opinion en France, un véritable retournement de situation, lui qui dévissait jusqu’à l’abîme ces derniers mois et particulièrement en début d’année. On connaît l’importance de ces sondages dans les croyances partagées entre responsables politiques et journalistes.
Léché, lâché, lynché. Emmanuel Macron semblait être arrivé au troisième stade de cette tradition des trois « L » si vivace dans le journalisme à la française. Fin 2024 et début 2025, le petit Paris médiatique pariait sur une éventuelle élection présidentielle anticipée, en mettant en scène (avec une certaine délectation) une ambiance fin de règne (en multipliant les off contre le président dans de nombreux articles et en spéculant sur le départ d’Alexis Kohler, aujourd’hui effectif).
En ce printemps, changement de décor : le scénario 2032 pour Emmanuel Macron réapparait dans les médias ces derniers jours avec plus d’insistance, à coups de off de ses derniers fidèles. Le 9 avril, on a pu entendre à Sud Radio Jean-Jacques Bourdin interroger Elisabeth Borne sur une telle perspective : « Franchement, ce n’est pas le moment de se poser ce genre de questions », a répondu assez sèchement la ministre, une fidèle d’Alexis Kohler, pas vraiment ravie. Puis, cinq jours plus tard, c’est La Dépêche du Midi qui a consacré entièrement un article à la question : « Election présidentielle : Emmanuel Macron s’est-il fixé pour objectif de revenir en 2032 ? » Et sur France Inter, l’éditorialiste Yaël Goosz se demande le même jour : « Mais qu’est-ce qui l'empêcherait de briguer un 3ème mandat en 2032 ? » Ajoutant : « Plus le temps passe, et moins on peut dire qu'Emmanuel Macron s'est dissous dans sa dissolution.»
Chez Public Sénat en juillet, j’avais d’ailleurs expliqué qu’il ne fallait pas trop vite enterrer Emmanuel Macron après sa dissolution ratée, du fait de sa conception du pouvoir et des outils que lui offre la 5ème République :
Dès décembre 2024, Le Monde dans le quatrième volet que trois de ses journalistes consacrent alors à Emmanuel Macron, n’oublie pas d’évoquer l’objectif d’un troisième mandat au sujet de ses avenirs possibles : « D’autres, autour de lui, l’imaginent rejoindre un jour le groupe LVMH de Bernard Arnault – après tout, ce dernier rêvait déjà de s’offrir les services de l’ex-premier ministre britannique Tony Blair. Présider une organisation internationale, une fondation ou même la FIFA, la puissante instance dirigeante du football mondial. Prendre le temps d’écrire des romans et des poèmes, comme il le rêvait à 16 ans. Ou tenter de se faire réélire en 2032…»
Et dès janvier, c’est Brigitte Macron qui glisse au micro de RTL : « Quels sont les hommes politiques que vous connaissez qui l’ont arrêtée, la politique ? Moi, ceux que je connais, dans leur tête, ce n’est pas réglé ». En 2032, Emmanuel Macron aura 55 ans. Lorsque j’écrivais il y a tout juste dix ans L’Ambigu Monsieur Macron, l’intéressé, alors ministre, m’avait confié : « Il faut se donner une durée : pas plus de dix ou quinze ans en politique. Je ne me vois pas à 60 ans faire de la politique ». 2032, c’est donc encore possible.
Entre Macron et Attal, des « rivières de sang »
Ce doux rêve pourrait expliquer l’hostilité du président de la République à l’égard de tout prétendant à l’incarnation de l’héritage macroniste. Pour l’actuel hôte de l’Élysée, et ce depuis longtemps, il est juste insupportable qu’un de ses anciens subordonnés puisse effleurer toute ambition présidentielle. Dès 2018, les relations se tendent ainsi entre le président et son Premier ministre de l’époque, Édouard Philippe. Le directeur de cabinet de ce dernier, Benoît Ribadeau-Dumas fera les frais de cette rivalité naissante et devra « s’exiler » auprès de la famille Agnelli-Elkann chez Exor-Stellantis. Depuis, l’Élysée méprise allègrement le maire du Havre et ses troupes. Un mépris qu’on retrouve initialement chez Emmanuel Macron pour un certain François Bayrou.
Mais c’est Gabriel Attal, l’actuel président de Renaissance, qui suscite le plus l’hostilité présidentielle. En privé, Emmanuel Macron n’a pas de mots assez durs à l’encontre du plus jeune Premier ministre de toute la 5ème République. Le président est bien décidé à empêcher toute poursuite de la carrière politique de son ancien subordonné à qui il reproche de ne pas avoir été suffisamment loyal durant toutes ces années. Si cette rivalité est ancienne comme je le révélais dans La Tribune dès février 2023, aujourd’hui, Macron souhaite détruire politiquement Attal. « Je n’ai plus du tout de news du président. Je ne sais pas pourquoi le PR m’en veut », déclare l’ancien Premier ministre à ceux qui lui posent la question de ses relations avec l’actuel hôte de l’Élysée. En septembre 2024, le conseiller politique Jean-Bernard Gaillot-Renucci, l’un des piliers du QG de 2017, avait d’ailleurs utilisé une formule particulièrement frappante pour expliciter les relations entre Macron et Attal, et leurs entourages respectifs, en pointant « les rivières de sang » qui pouvaient exister entre les deux :
Une rencontre Attal-Cazeneuve chez Daniel Vial
Si Emmanuel Macron sauve l’un de ses anciens subordonnés, c’est bien Jean Castex : « le seul en qui j’ai confiance », aime-t-il répéter. Le président n’hésite pas à présenter l’actuel patron de la RATP comme un véritable ami. Et si Castex pouvait devenir son Medvedev en attendant son retour en 2032 ?
C’est une question que beaucoup se posent dans ce qu’il reste de macronie. En attendant, chaque prétendant au trône présidentiel essaye de se serrer les coudes face à un président qui ne souhaite décidément pas s’effacer malgré les difficultés politiques de son second mandat. Le 6 avril dernier, lors du meeting de Renaissance à Saint-Denis, Édouard Philippe a rejoint Gabriel Attal pour le soutenir, malgré leur concurrence pour 2027. L’été dernier, lorsqu’Emmanuel Macron se cherchait avec difficulté un Premier ministre sans majorité, Bernard Cazeneuve a discrètement rencontré Gabriel Attal chez leur ami commun Daniel Vial, le lobbyiste de la big pharma qui dispose d’une propriété dans le Lubéron, et ce, alors que le nom de l’ancien Premier ministre de François Hollande était évoqué pour arriver à Matignon.
De leur côté, Cazeneuve et Philippe, tous les deux barons de Normandie, ne cessent d’échanger au téléphone depuis de longs mois. Ces deux-là, qui ne cachent plus leurs ambitions pour 2027, partagent de nombreux réseaux dans le nucléaire, le business et l’armement (Philippe fut l’ancien directeur des affaires publiques d’Areva… dont l’usine de la Hague se situe non loin de Cherbourg, la ville dont Cazeneuve fut maire durant de nombreuses années). Mais ces derniers mois, Philippe échangeait aussi très régulièrement avec Alexis Kohler, alors encore en poste à l’Élysée, au grand dam d’Emmanuel Macron, comme je le rappelais récemment.
Emmanuel Macron aurait-il réussi à unir Attal, Cazeneuve, Philippe, Kohler, malgré leurs ambitions concurrentes, contre son doux rêve de 2032 ?
La France est (devenu) un trop petit pays pour (subir) une telle misère.
Marc, j’ai une question qui me taraude depuis des années : ces gens-là, qui sont déjà au pouvoir et rêvent de futures gloires électorales, sont-ils à ce point déconnectés de la réalité pour ignorer à quel point ils sont haïs par une grande partie de la population française ? Imaginent-ils sérieusement que des citoyens meurtris par leurs guerres sociales, affectés dans leur chair par leur racisme d’état, réprimés dans leurs liberté d’expression par la censure et la matraque vont tout oublier et voter pour eux ? Sont-ils à ce point hors-sol qu’ils n’ont pas compris que beaucoup de français les détestent au point de souhaiter leur mort ?