Quand l'Azerbaïdjan envoie une "carte postale" à Emmanuel Macron
Depuis deux ans, ce petit État pétrolier du Caucase mène une guerre hybride contre la France. Et sur le front informationnel, mon livre d'enquête "le grand manipulateur" est même utilisé par Bakou...
Regardez bien cette photo d’une conférence de presse qui s’est tenue le 8 janvier 2025 à Bakou, capitale de l’Azerbaïdjan, et organisée par le “Baku Initiative Group”, un groupe d’influence qui soutient “la lutte contre le colonialisme et néocolonialisme” et qui multiplie les critiques à ce titre contre la France depuis bientôt deux ans. Vous regardez bien ? Sur l’étagère à gauche, on aperçoit un livre bien mis en évidence, dont la couverture rouge et noir ne passe pas inaperçue : il s’agit de mon ouvrage d’enquête Le Grand Manipulateur. Les réseaux secrets de Macron publié en avril 2019 dans lequel je reviens longuement sur l’affaire Benalla, mais également sur les zones d’ombre de la campagne présidentielle d’Emmanuel Macron entre 2016 et 2017.
Ce livre n’a pas été placé là par hasard. Et sa présence n’a pas échappé aux services français chargés de lutter contre les ingérences étrangères et les déstabilisations en tout genre à l’ère du numérique, comme l’une de mes sources françaises de renseignement me l’a indiquée. D’autant plus que cette conférence de presse entendait répondre aux accusations portées contre le BIG par la Viginum, le service de vigilance et de protection contre les ingérences étrangères, qui estime dans un rapport récemment publié que ce groupe d’influence fondé en juillet 2023 a multiplié depuis deux ans les campagnes de désinformation contre les intérêts français en outre-mer, et en particulier en Nouvelle-Calédonie.
Ce n’est pas la première fois que mon livre est mis en évidence. Dès le 14 décembre 2024, journée internationale de la décolonisation, le “Baku initiative Group” l’avait déjà utilisé lors d’une conférence de presse qui s’était déroulée ce jour-là, comme cette autre photo le montre (en bas à droite) :
Mais l’intérêt de l’Azerbaïdjan pour Le Grand Manipulateur a pris également d’autres formes. Début juillet 2024, les éditions Stock reçoivent ainsi une demande de Teas Press, une maison d’édition azérie, pour racheter les droits de mon livre afin de diffuser 500 exemplaires en langue azérie. Immédiatement averti, j’ai alors demandé à Stock de refuser cette cession des droits, pour éviter que mon travail soit instrumentalisé dans une guerre informationnelle en cours menée par l’Azerbaïdjan contre la France. En décembre 2024, c’est au tour d’un journaliste travaillant pour une télévision azerbaïdjanaise de me contacter via Facebook pour me proposer une interview sur mon travail d’enquête. J’ai préfèré ne pas répondre.
Bakou accuse Paris de colonialisme
À l’origine, cette escalade des tensions entre Paris et Bakou est due au soutien français à l'Arménie, en conflit territorial avec son voisin azerbaïdjanais pour le Haut-Karabagh. Dès 2022, le président Macron accuse la Russie d’avoir “joué le jeu” de l’Azerbaïdjan avec une “complicité turque” face à l’Arménie et de poursuivre une “manoeuvre de déstabilisation” de la région.
Si les tensions entre la France et l’Azerbaïdjan s’exacerbent en septembre 2023 avec la reprise de contrôle de l’enclave du Haut-Karabakh par Bakou à l’issue d’une offensive éclair, elles s’étaient renforcées dès juillet 2023 avec la création du fameux “Baku Initiative Group” qui a eu pour objectif de rassembler les mouvements indépendantistes au sein de l’outre-mer français, et même en Corse.
BIG a ainsi commencé à organiser des conférences sur la décolonisation des territoires français d’outre-mer au siège de l’ONU à New-York, au bureau des Nations Unies à Genève, à Istanbul et à Bakou, avec la participation de militants indépendantistes de Nouvelle-Calédonie, de Guyane, de Polynésie française, de Martinique et de Guadeloupe. BIG a également financé la visite de délégations des parlements locaux des territoires français à Bakou. Des communiqués de presse officiels sur ces événements ont été diffusés dans les médias azerbaïdjanais et les médias sociaux avec les tags #décolonisation, #politiquefrançaise, #politiquecolonialefrançaise et #colonialismefrançais.
Et lors de la COP29 organisée à Bakou en novembre 2024, le président autocrate Ilham Aliev a multiplié les attaques contre la France dénonçant dans son discours l’histoire coloniale du pays et les "crimes" du "régime du président Macron" dans ses territoires d’outre-mer, dont la Nouvelle-Calédonie. Alors qu’un espoir de paix se fait jour désormais entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, ces attaques contre la France vont-elles cesser ?
La Russie soupçonnée d’être derrière cette opération
Rien n’est moins sûr car c’est également en coulisses que la bataille entre l’Azerbaïdjan et la France se mène. Rappelons que deux Français restent emprisonnés à Bakou, l’un accusé d’espionnage, l’autre se retrouvant à l’ombre pour avoir réalisé un simple grafiti dans la rue. Un troisième - un cadre de la Saur, le groupe français de l’eau - est, lui, assigné à résidence depuis juillet dernier, accusé de collusion avec Alexandre Benalla… qui avait signé en novembre 2018, comme Médiapart l’avait révélé, un contrat avec l’oligarque russo-azerbaïdjanais, Farkhad Akhmedov.
Est-ce la raison pour laquelle mon livre Le Grand Manipulateur est utilisé par l’Azerbaïdjan ? Une source française connaissant bien le pays me souffle une autre explication : “Vous avez été le seul journaliste français avec ce livre à pointer les proximités d’Emmanuel Macron avec certains réseaux algériens en pleine campagne présidentielle en 2017 à travers son voyage à Alger, où l’on retrouvait Benalla d’ailleurs. Et ce, alors que la question algérienne est aujourd’hui utilisée par tout un tas de responsables politiques français pour avant tout chose mettre mal-à-l’aise le président de la République”.
Une chose est sûre : le président Macron est bien visé personnellement à travers toute cette opération. De leur côté, l’Élysée et les services français ne cachent pas en off que la Russie est derrière cette déstabilisation de la France par l’Azerbaïdjan. D’autres intérêts étrangers sont pourtant proches de ce petit pays du Caucase : la Turquie, le Royaume-Uni, et bien sûr Israël.
Israël, le principal allié de l’Azerbaïdjan
L’État Hébreu est même devenu le principal allié de l’Azerbaïdjan ces dernières années, lui livrant de nombreuses armes (Depuis 2016, près de 70 % des armes achetées par Bakou ont été fournies par Tel-Aviv), et lui vendant son logiciel espion Pegasus dans le cadre d’un partenariat cyberstratégique. En contrepartie, Israël importe d’Azerbaïdjan une quantité non négligeable de pétrole, et peut utiliser ses 600 km de frontière commune avec l’Iran pour y lancer certaines de ses missions d’espionnage contre Téhéran. Dernier signe de la proximité des deux pays : le géant gazier azerbaïdjanais, la SOCAR, vient d’obtenir des licences d’exploration dans les eaux israéliennes.
À Paris, l’avocat chargé des intérêts de l’Azerbaïdjan n’est autre que maître Olivier Pardo, qui a également parmi ses clients le Premier ministre israélien Benyamin Netanyahou ou la ministre de la Culture Rachida Dati, qui entretient depuis de nombreuses années les meilleures relations avec cet État du Caucase, au point d’intéresser la justice comme l’a révélé récemment l’Obs. Or, depuis la visite du président Macron en Israël le 24 octobre 2023, après les attaques du Hamas depuis Gaza, ses relations avec Benyamin Netanyahou se sont particulièrement dégradées.
Ca y est! Il lest de retour !
On a effectivement une ministre de la culture qui adore le caviar de Bakou depuis longtemps...
Ne pas oublier qu'Israël n'a jamais voulu reconnaître le génocide arménien afin de conserver de bons liens commerciaux avec la Turquie et l'Azerbaïdjan.