P4 de Wuhan : quand les « éléments de langage » français tombent à l’eau
Dans son livre « Au nom de la science », le journaliste Jérémy André dévoile que la Chine procédait bien entre 2018 à 2019 à des recherches sur des virus de classe 3 au sein du labo haute sécurité.
Le laboratoire haute sécurité de Wuhan dit « P4 » ou « BSL 4 » (biosafety level 4), construit avec l’aide de la France, est un dossier en train de devenir dans notre pays une véritable cold case, une affaire classée. Depuis bientôt quatre ans, aucun responsable politique ne s’est emparé du sujet, de la majorité aux partis d’opposition les plus contestataires. Au parlement, aucune commission d’enquête n’a été mise en place. Aucun responsable français ayant participé au programme d’échange technique et scientifique entre la Chine et la France, lancé après un accord d’État à État signé en 2004 sous l’impulsion de Jacques Chirac, n’a été interrogé.
Alors qu’aux États Unis, l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à Wuhan à l’origine de la pandémie de Covid 19 a suscité un vaste débat national, au vu des collaborations scientifiques entre les deux pays, en France, on attend que les scientifiques se prononcent définitivement sur cette hypothèse. En l’absence de réponse, pas question en France d’en faire un sujet de polémique médiatique (en dehors de quelques articles de presse, notamment dans Le Monde via le travail du journaliste Stéphane Foucart ou Le Point qui y a consacré plusieurs dossiers) ou de susciter un quelconque débat politique sur une éventuelle co-responsabilité du pays. À la télévision, seul Envoyé Spécial sur France 2 s’est emparé du sujet de l’origine de la Covid 19 en mars 2021, ou encore le journaliste politique Patrick Cohen dans l’émission C à vous sur France 5 en juin 2022 qui en a consacré sa chronique (mais en centrant son propos sur le scénario d’un virus qui serait issu de la recherche américaine, voire d’un laboratoire américain… scénario aujourd’hui principalement porté par la diplomatie chinoise).
« En France, il n’y a eu aucune enquête officielle sérieuse sur la question.»
Dans ce contexte, le livre du journaliste Jérémy André « Au nom de la Science » publié au printemps dernier (Albin Michel, 21,90 euros), est salutaire et courageux. Correspondant Asie de l’hebdomadaire Le Point, André expose à ses lecteurs une enquête minutieuse à partir de nombreux documents exclusifs. Et au terme de celle-ci, il ne peut que déplorer dans sa conclusion : « En France, il n’y a eu aucune enquête officielle sérieuse sur la question. Maintenant que la sidération provoquée par les premières années de la pandémie est passée, il serait temps que l’opinion et les parlementaires se réveillent et exigent de l’État des réponses à ces questions : pourquoi l’accord de coopération entre la France et la Chine de 2004 ne nous a pas permis de mieux gérer le Covid 19 ? L’institut Pasteur, Alain Mérieux ou l’exécutif français ont-ils pu être informés de ce qui s’est passé à Wuhan ? »
Comme je le soulignais dans mon livre L’Emprise (Seuil, janvier 2022, Points, juin 2023), dans lequel je consacrais un chapitre à la pandémie de Covid-19 (« Les mystères de Wuhan »), si l’hypothèse d’une fuite de laboratoire n’est toujours pas avérée sur un plan scientifique, l’absence de transparence de la Chine comme des autres États sur les laboratoires haute sécurité devrait au moins susciter des questions, tant dans les médias qu’au sein de la représentation nationale dans un pays démocratique comme la France.
Depuis trois ans, tout au long de ses articles d’enquête pour Le Point sur la pandémie de Covid 19 et sa gestion par l’État français, Jérémy André a patiemment produit ce travail journalistique de transparence. Son livre traite autant de la réaction de l’État français à la pandémie de Covid-19 que des questions relatives à l’origine du virus, qu’aux débats aux États-Unis. Une enquête tout azimut, sur plusieurs continents. Sur le volet français de l’affaire, c’est grâce à Jérémy André qu’on a appris que début janvier 2020, Jérôme Salomon, directeur de cabinet d’Agnès Buzyn, alertait par SMS sa ministre sur la présence d’un laboratoire P4 à Wuhan alors que les premiers signes d’un début d’épidémie dans la mégalopole chinoise se multipliaient.
« Mardi 7 janvier, à 18h08, Agnès Buzyn envoie un court SMS à Jérôme Salomon, le directeur général de la santé :
- Des nouvelles de l’épidémie chinoise ? demande-t-elle.
- Élément troublant, Wuhan abrite le P4, précise Salomon.
- Le P4 n’est a priori pas fonctionnel, répond la ministre.
- A priori, lâche le DGS, mystérieux.»
« Le but est de dire que c’est un labo chinois géré par les Chinois »
C’est ainsi que quelques jours plus tard, la ministre de la santé envoie à ses « chefs » directs, Édouard Philippe et Emmanuel Macron, deux SMS quasi identiques dans lesquels elle « suspecte le labo P4 de manipuler le virus », comme le dévoile Jérémy André dans « Au nom de la science ». La ministre demande immédiatement à ses collaborateurs de vérifier auprès du SGDSN (Secrétariat Général de la Défense et de la Sécurité Nationale). Rapidement, des « éléments de langage » sont également commandés par le cabinet de la ministre de la Santé qui se demande comment gérer les premiers articles de presse à propos de la présence d’un laboratoire haute sécurité à Wuhan : « Le sujet P4 monte, je veux bien une première trame dès que possible », écrit dans un mail le conseiller crise de la ministre au SGDSN. Jérémy André dévoile alors la réponse du SGDSN sous la forme d’une note confidentielle transmise au cabinet de la ministre :
« En 2017, les autorités chinoises ont informé la France de leur décision d’accréditation de ce laboratoire pour manipulation effective de pathogènes de classe 4 limités à Ebola, Nipah et au virus de la fièvre hémorragique de Crimée Congo.
Sur la période considérée, aucune information ou indication d’activité ne permet d’envisager la présence de pathogènes autres que ceux pour lesquels le laboratoire est accrédité ».
En guise de commentaire sur cette note confidentielle, Jérémy André cite anonymement dans son livre un conseiller à la Direction Générale de la Santé : « le but est de dire que c’est un labo chinois géré par les Chinois ». Cette citation permet manifestement au journaliste d’ironiser sur la situation.
Préparer des « EDL sur le P4 de Wuhan »
Car cette note va très vite servir de base pour les différentes sources officielles de l’État français, leur permettant ainsi de multiplier les « off » auprès des journalistes qui commencent à poser des questions sur le dossier P4 Wuhan en ce début de pandémie, alors que les réseaux sociaux bruissent de rumeurs. Très vite après cette demande auprès du SGDSN, la ministre avait ainsi demandé à son directeur de cabinet de préparer des « EDL sur le P4 de Wuhan », comme on l’apprenait déjà dans un long article du Point en juillet 2022. Par « EDL », comprendre les fameux « éléments de langage » à utiliser auprès de la presse ou tout autre interlocuteur.
Dès le 30 janvier 2020, dans une interview sur le site internet de Marianne, le journaliste Antoine Izambard, du magazine Challenges, qui avait écrit quelques mois plus tôt un livre sur les relations entre la France et la Chine (Il avait consacré un chapitre entier au P4 de Wuhan et s’était rendu sur place pour visiter le laboratoire en 2019), explique ainsi : « Le P4 a été par ailleurs accrédité par les autorités chinoises pour effectuer des recherches sur les virus Ebola, la fièvre hémorragique de Congo-Crimée (CCHF) et le Nipah (NiV) mais toujours pas pour le SRAS ou les coronavirus. »
Alors que les utilisateurs des réseaux sociaux commençaient à faire « monter » dès janvier 2020 la thématique du laboratoire haute sécurité P4 à Wuhan, il s’agissait donc d’assurer qu’il ne pouvait y avoir de liens entre la pandémie de Covid 19, une maladie liée à un coronavirus, et les éventuelles activités au sein du P4 de Wuhan, en partie construit avec l’aide de la France, rappelons-le.
Réunions de l’OMS à huis clos à Genève en janvier 2020
De mon côté, ce n’est pas après coup que j’ai pris connaissance de cette interview d’Antoine Izambard dans Marianne. Dès janvier 2020, je l’ai lue attentivement car, comme je l’explique dans L’Emprise, j’étais informé au même moment par une très bonne source de l’état des discussions au sein de l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) sur l’émergence de ce coronavirus à Wuhan, alors que des réunions de crise avaient été convoquées en urgence au siège de l’organisation à Genève.
Ces discussions se tiennent à huis clos au comité d’urgence de l’OMS, et elles sont alarmantes : ma source m’explique que la situation est en réalité « très grave », « hors de contrôle » même, que le virus se transmet principalement par « aérosolisation » (par l’air donc), et que sa séquence génétique est considérée comme « suspecte » au sein de ces réunions de l’OMS. Les scientifiques qui participent alors à ce comité d’urgence craignent un « gros risque de mutation du virus » en l’absence de vaccin et l’« aggravation de sa viralité », et prédisent déjà une « récurrence constante l’année prochaine ». Dans un échange de SMS datant du 10 février 2020 que j’ai pu consulter des mois après, entre une de mes sources et une responsable haut placée dans la structure sanitaire mondiale qui participait à ces réunions, les éléments sont même plus précis : « la source labo (manipulation) se confirme elle me dit ».
Le jour suivant, le 11 février, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, tente d’ailleurs d’alerter l’opinion publique mondiale en qualifiant l’épidémie de « très grave menace » pour le monde, en préambule d’une conférence de presse qui passe inaperçue dans les médias français, bientôt focalisés sur l’« affaire » des sextapes de Benjamin Griveaux.
Justement, à la fin février 2020, n’étant pas un spécialiste de ces sujets et étant incapable de vérifier ces éléments immédiatement, je me contente de relayer sur twitter, onze jours plus tard, une nouvelle conférence de presse du patron de l’OMS dans laquelle ce dernier explique que « le virus est aéroporté » (ce que les autorités sanitaires françaises et les responsables politiques nient alors au grand public) et qu’il a « plus de puissance, de virulence » qu’Ebola, bien que les deux virus sont très différents (le second étant plus létal) : « Nous le prenons plus au sérieux », souligne ainsi le patron de l’OMS. Une alerte significative mais, à l’époque, certains médecins « experts » des plateaux de télé continuent de présenter ce virus comme une grippe un peu rude…
On l’a oublié, mais le sentiment alors dominant en coulisses est qu’il ne faut surtout pas provoquer de panique parmi la population. Et puis, les médias restent focalisés sur l’affaire Griveaux. Résultat, quelques jours plus tard sur Facebook, alors que j’ai écrit un statut pour expliquer que ce nouveau coronavirus se transmet par l’air, certains de mes contacts ironisent sur le « sensationnalisme » de ma modeste alerte.
Du Washington Post à Rupert Murdoch
En Chine, Wuhan est la Mecque de la recherche virologique. En plus de l’Institut de virologie, sont installés dans cette mégalopole de 11 millions d’habitants une grande université, un institut de technologie, l’université agricole de Huazhong ou encore le Centre de contrôle des maladies de la province du Hubei. Toutes ces institutions disposent de laboratoires de type BSL-2 ou BSL-3, des niveaux de sécurité inférieurs au BSL-4. Les services de renseignement du monde entier se sont pourtant focalisés sur le laboratoire BSL-4, livré par la France, car cette technologie est duale, c’est-à-dire utilisable pour des activités à la fois civiles et militaires.
Dans la presse mondiale, il faudra attendre le printemps 2020 et deux grands articles du Washington Post pour que le sujet des laboratoires de Wuhan commencent à être sérieusement évoqué. Le premier, publié dès le 4 avril, est celui de David Ignatius, qui envisage l’hypothèse d’une fuite de laboratoire. Le second, écrit par le journaliste Josh Rogin, révèle le 14 avril deux câbles diplomatiques (des messages transmis par l’ambassade américaine de Pékin) faisant état des doutes de diplomates américains quant aux conditions de sécurité des expériences menées à l’Institut de virologie de Wuhan qu’ils avaient pu visiter en janvier 2018. Dès le lendemain, lors d’une conférence de presse, le président Donald Trump annonce que les États-Unis mènent une enquête sur le laboratoire. Dans les jours qui suivent, la polémique enfle au niveau international. Le 16 avril, dans une interview au Financial Times, Emmanuel Macron évoque à demi-mot le sujet : « il y a clairement des choses qui se sont passées que nous ne savons pas ».
À la même époque, cela a été peu relevé en France, mais l’Australie, par l’intermédiaire de son Premier ministre Scott Morrison, réclame également une enquête indépendante sur ce qu’il s’est passé en Chine et sur l’origine du virus. Au niveau de la presse mondiale, c’est d’ailleurs les journaux appartenant à Rupert Murdoch, le magnat australien, qui ont été les premiers à relayer avec force l’hypothèse d’une fuite du virus et qui ont mené des grandes enquêtes sur les laboratoires de Wuhan (notamment The Wall Street Journal, The New York Post, The Times), alors qu’à l’inverse des institutions de presse comme The New York Times ou The Guardian ont toujours été prudentes vis-à-vis d’une telle hypothèse, privilégiant le scénario d’une émergence via une zoonose.
Il n’existe pas de réglementation internationale sur les P4
En France, la presse, du Figaro à Radio France, commence à publier une série d’articles sur le fameux laboratoire P4 de Wuhan à partir de la fin avril 2020. Dans ces articles, il est souvent rappelé que les coronavirus ne sont généralement pas étudiés dans ce type de laboratoires de très haute sécurité. Mais comme je l’avais rappelé dans L’Emprise, il n’existe pas, en réalité, de réglementation internationale à ce sujet comme me l’avait expliqué une experte de l’OMS. « En général, un pathogène est supposé n’être manipulé que dans la classe de laboratoires correspondante mais il n’y a pas de réglementation internationale, et même au sein de chaque pays la règle peut varier », écrit aujourd’hui avec justesse Jérémy André. Autre élément de langage largement relayé au printemps 2020 : ces laboratoires P4 sont infaillibles, un accident d’exploitation ne peut survenir. Or, lorsque j’avais enquêté pour L’Emprise, j’avais découvert au contraire que la technologie du confinement (issue des recherches dans le nucléaire tant en France qu’aux États-Unis), n’avait jamais été infaillible et que nombreux incidents étaient survenus par le passé.
Enfin, tous ces articles publiés alors dans la presse française au printemps 2020 soulignent aussi l’inexistence depuis plusieurs années de collaboration active entre l’Institut de virologie de Wuhan et les différentes institutions françaises. Il est expliqué que les responsables chinois n’auraient pas joué le jeu de la coopération pourtant prévue initialement, et que les scientifiques français auraient été peu à peu mis à l’écart. Dans un long article du Point, dans lequel interviennent publiquement différents responsables politiques français, notamment les anciens Premiers ministres Jean-Pierre Raffarin et Bernard Cazeneuve, l’histoire racontée est quelque peu différente : la responsabilité de la faible coopération n’est plus mise sur le dos des Chinois, mais sur celui des hauts fonctionnaires de la défense en France, qui se sont toujours opposés à l’ouverture d’un laboratoire P4 en Chine, craignant notamment le détournement de cette technologie à des fins militaires.
Le 7 mai 2020, la Chine réagit aux accusations et rappelle notamment que « le labo P4 de Wuhan est [le fruit d’] une collaboration entre les gouvernements chinois et français ». Deux jours plus tard, le 9 mai, une dépêche AFP confirme, en forme de réponse, que le laboratoire P4 de Wuhan « mène des recherches avec des scientifiques français », mais que « cette collaboration, entamée en 2017, est encore balbutiante ». Dans cet article, on apprend qu’il existe « un grand programme » en cours entre la France et le laboratoire P4 de Wuhan sur le virus Nipah, un pathogène très dangereux découvert en Asie du Sud-Est. On le voit, côté français, les éléments de langage se multiplient en ce printemps 2020, et se contredisent parfois, entre « collaboration balbutiante » et « grand programme ».
L’institut Pasteur a signé un accord de collaboration avec le P4 de Wuhan
Or, comme je l’ai découvert en enquêtant pour mon livre L’Emprise, les liens entre la communauté scientifique française et l’Institut de virologie de Wuhan sont loin d’être coupés lorsque survient la pandémie de Covid-19. Et à travers son livre « Au nom de la science », Jérémy André apporte de nouveaux et nombreux détails confirmant mes informations. Dans un chapitre intitulé « Que cache Paris ? », il dévoile ainsi que Christian Bréchot, directeur du réseau Pasteur, a lui-même signé un accord en 2016 avec l’académie des Sciences chinoises selon lequel Pasteur Shanghai et l’Institut de virologie de Wuhan étaient censés établir un « laboratoire de recherche commun ». Fin 2017, le projet a commencé à se matérialiser avec la signature d’un nouvel accord, le « G4 », groupe de recherche de quatre ans, basé à l’Institut Pasteur Shanghai (IPS), et unissant le P4 de Wuhan, l’Académie des sciences chinoise, l’Institut Pasteur et la fondation Mérieux, doté de 150 000 euros annuels.
À l’été 2018, Frédérique Vidal, alors ministre de la Recherche et de l’Enseignement supérieur est en visite en Chine accompagnée d’Yves Lévy, patron de l’Inserm et alors président du comité de pilotage des accords entre la Chine et la France de 2004 (il est par ailleurs le mari d’Agnès Buzyn). Vidal et Lévy tombent de leur chaise, selon le récit qu’en fait Jérémy André, quand ils apprennent que l’institut Pasteur (via son laboratoire de Shanghai) a signé un accord de collaboration avec le P4 de Wuhan en lisant cette note confidentielle préparée par l’ambassade française :
« L’accord G4 signé en avril 2018 par la Fondation Mérieux, l’Institut Pasteur Paris, l’Académie des sciences de Chine et l’institut Pasteur de Shanghai a été monté dans l’esprit d’être rapidement opérationnel : équipes de chercheurs identifiées, avec des moyens financiers confirmés et un plan de mise en oeuvre sur cinq ans. Il intègre largement la finalité sociale et sociétale de la lutte contre les MIE [maladies infectieuses émergentes] et pourrait constituer une bonne base pour initier rapidement des projets dans le P4 de Wuhan et y assurer une présence française dans le cadre de son utilisation ».
La délégation française en Chine apprend alors que des recrutements ont déjà été opérés ou sont en cours. Cette collaboration a pourtant toujours été niée par l’institut Pasteur à Paris : « Interrogée par mail sur le fait que sa page de lutte contre la désinformation nie toute coopération avec les laboratoires de Wuhan, la communication de Pasteur n’a pas répondu à nos questions », précise Jérémy André. Face à la presse, l'institut Pasteur, qui, au cours de la pandémie, a très peu communiqué contrairement à l’institut allemand Robert-Koch, a semble-t-il choisi l’opacité et la rétention d’informations. Ainsi, lors de mon enquête, un scientifique de Pasteur, que j’avais interrogé en « off », m’avait assuré que la direction de la communication de son institution lui avait demandé au printemps 2020 de ne pas évoquer l’hypothèse d’une fuite de laboratoire à Wuhan dans ses déclarations publiques. En mars 2023, Pasteur a en tout cas décidé de se retirer de son antenne chinoise à Shanghai.
Désaccords entre Lévy et Gourdault-Montagne sur l’accréditation du P4
Ces incohérences de Pasteur ne sont pas les seules « bombinettes » que dévoile Jéremy André dans son livre. Au journaliste du Point, Yves Lévy assure ainsi s’être opposé avant 2018 à l’accréditation du laboratoire P4 par la France, une accréditation pourtant promise en plus haut lieu au début du quinquennat d’Emmanuel Macron : « La responsabilité de l’accréditation et de la qualité, c’est de la responsabilité des Chinois. Depuis le début, je suis en opposition avec cette décision, témoigne Yves Lévy, qui a été prise au ministère des Affaires Étrangères en présence de Mérieux par Maurice Gourdault-Montagne, alors secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, et qui a été de promettre que la France devait assurer la partie technique. Nous ne pouvons pas assurer la partie technique. » Pourtant, à travers un avenant à l’accord de 2004 obtenu par les Chinois et signé quatre plus tard, il était bien écrit « noir sur blanc que la France fournirait une “assistance technique” pour la “conformité aux normes” », comme le souligne Jérémy André. Rappelons au passage que Maurice Gourdault-Montagne était ambassadeur à Pékin entre 2014 et 2017, et a été nommé secrétaire général du Quai d’Orsay entre 2017 et 2019, par Emmanuel Macron en personne et contre l’avis du cabinet de Jean-Yves le Drian au ministère des Affaires étrangères.
Ce désaccord entre Lévy et Gourdault-Montagne est illustré par une note blanche datant 18 juillet 2018 produite par les services de l’Inserm, dans laquelle est souligné que « la notion de la responsabilité de la France en cas de problème survenant au cours de l’exploitation du P4 de Wuhan semble mal encadrée ». Surtout, dans ce document dévoilé dans le livre de Jérémy André, il est mentionné que l’Inserm avait été averti par la Chine que le laboratoire P4 de Wuhan était alors en phase de test avec des pathogènes de classe 3 comme des coronavirus : « Nous avions d’ailleurs été informés par la partie chinoise que la prise en main du laboratoire devait être réalisée avec l’usage de pathogènes de groupe de risque 3 pendant un an ». Cette note blanche se fait aussi l’écho d’alertes sur la sécurité du laboratoire P4 émises par des sources françaises. Mais comme le souligne Jérémy André, Yves Lévy n’aura pas le temps de faire valoir son point de vue au sein de l’État, car à l’été 2018, le patron de l’Inserm, après quatre ans de service, doit renoncer à un second mandat.
Des pathogènes de classe 3 utilisés dans le P4 de Wuhan
En tout cas, avec cette note blanche de l’Inserm qui dévoile que l’Institut de virologie de Wuhan a bien utilisé dans son laboratoire P4 des pathogènes de classe 3, comme les coronavirus, au moins jusqu’en 2019, c’est tous les éléments de langage français initiaux qui tombent à l’eau. Dès février 2017, un article publié dans la revue Nature évoquait les futures recherches au sein du laboratoire P4 de Wuhan, et notamment celles portant sur le virus de la fièvre hémorragique Crimée Congo présenté alors comme un pathogène de classe 3.
Alors que l’hypothèse d’une fuite de laboratoire est aujourd’hui toujours mise sur la table par l’OMS comme celle d’un scénario zoonose au sujet de la recherche de l’origine du Sars Cov 2, il serait ainsi nécessaire de se distancier des éléments de langage et de considérer toutes les pistes possibles, indépendamment des éventuelles conséquences politiques et diplomatiques. Dans une récente interview au Financial Times, le patron de l’OMS, Tedros Adhanom Ghebreyesus, a dit souhaiter qu’une nouvelle mission d’enquête soit envoyée en Chine avec un « accès total ».
Comme le conclut Jérémy André dans son livre : « La France elle-même a ses secrets. Elle craignait depuis des années un accident de laboratoire à Wuhan. Elle s’est abritée quand la pandémie a éclaté derrière des éléments de langage : le P4 ne travaillerait pas sur les coronavirus ; il n’y avait plus de coopération ; c’était une affaire chinoise. Mais faute d’enquête ouverte, rien n’exclut en réalité que le P4 ou la France aient été impliqués dans des recherches qui auraient provoqué un accident ». Parmi les multiples secrets de la France : comment, et surtout à partir de quand, l’État français a-t-il été tenu au courant de ce qui se passait à Wuhan ? Comme je l’expose avec de nombreux détails dans L’Emprise, manifestement bien plus tôt que l’histoire racontée jusqu’à présent à partir du storytelling de certains officiels.
Pas que l'Etat français qui va devoir s'expliquer https://www.leefang.com/p/cia-official-questioned-over-wuhan?publication_id=1239256&post_id=137110043&isFreemail=true&r=fjs7o
Voir la curieuse synchro des accords du P4 et des grandes manœuvres dans le nucléaire, et le rachat d'Uramin...