Groupe Dassault : Charles Edelstenne prépare son départ d’ici la fin de l’année
La succession Dassault s’accélère avec le scénario d’un départ anticipé du taulier du groupe. Celui-ci a décidé de partir avant la fin de son mandat pour mieux peser sur le profil de son successeur.
C’est une surprise. Selon mes informations, Charles Edelstenne, tout puissant président directeur général du groupe industriel Marcel Dassault (GIMD) quitterait la présidence du groupe dès la fin de l’année (ou au plus tard en début d’année), soit un an tout juste avant la date statutaire de la fin de son mandat prévu pour la fin 2024. GIMD détient les participations de la famille dans Dassault Aviation (62%), Thales (25%), Dassault Systèmes (40%), mais aussi Immobilière Dassault, Artcurial, Dassault Wine Estates ou encore le Groupe Figaro.
« Le dossier s’accélère. Edelstenne part plus vite que prévu », me confie ainsi une source bien informée du processus en cours. Aujourd’hui âgé de 85 ans, Charles Edelstenne, le véritable taulier de la maison Dassault, avait obtenu l’année dernière un répit de deux ans supplémentaire à la tête du groupe, en l’absence d’un successeur désigné. Début 2022, il avait donc été décidé de repousser la limite d’âge pour son poste jusqu’à 87 ans.
Départ anticipé pour mieux imposer son successeur
Ce départ anticipé ne signifiera pas une perte d’influence de celui qui a commencé sa carrière comme expert comptable avant de se hisser au plus haut niveau. Bien au contraire : car si Edelstenne a finalement décidé de partir avant la fin de son mandat, c’est pour mieux peser sur le profil de son successeur et le contrôle du groupe, notamment face à la famille Dassault.
De fait, en écourtant son dernier mandat, le patron du groupe essaye d’imposer le profil de son remplaçant pour mieux maintenir son influence au sein du groupe après son départ. Le nom d’Olivier Costa de Beauregard, l’actuel directeur général de GIMD, est évoqué. « Car face à Edelstenne la course est engagée, et tous les actionnaires familiaux ont leur petite idée, la plupart souhaite nommer un profil extérieur à l’éco système Dassault. Il y a des hypothèses extravagantes et en plus ils sont divisés », m’explique mon interlocuteur. Laurent Dassault, qui bataille ainsi depuis de nombreux mois contre Charles Edelstenne, préconise de nommer l’ancien patron d’ATOS, Thierry Breton, actuellement commissaire européen au Marché intérieur.
L’État refuse que la famille joue un rôle
Sauf que le groupe Dassault, qui n’a jamais été aussi riche et puissant industriellement qu’aujourd’hui, n’est pas une entreprise familiale comme une autre. Constructeur du Rafale, l’État reste son premier client et son premier agent commercial à l’étranger. Et l’État, traditionnellement, refuse que la famille joue un quelconque rôle : « L’idée que les enfants Dassault dirigent est une fausse idée, me souligne ainsi un haut fonctionnaire de la Défense. La famille est là pour toucher du fric mais ne commande pas ». D’autant plus que GIMD est l’actionnaire de référence du groupe de Défense Thales, et contrôle de ce fait Naval Group. Ces dernières années, Charles Edelstenne avait d’ailleurs l’habitude de dire aux enfants : « vous êtes les actionnaires, moi le patron, je m’occupe de l’industriel, vous, de vos dividendes ».
De fait, au sein de l’État, les hauts fonctionnaires commencent à perdre patience. Tous aimeraient être fixés sur leur prochain interlocuteur à la tête d’un groupe si stratégique. Mais remplacer Charles Edelstenne n’est pas chose facile. L’homme qui n’est pas un simple manager a su se constituer un véritable pouvoir depuis cinquante ans, et détient tous les secrets du groupe. Ainsi, au-delà de sa personne, c’est la perpétuation du système Dassault qui se pose. « Suite au scandale Agusta en Belgique, Edelstenne est devenu l’homme qui gère les relations avec les responsables politiques. Son remplaçant va devoir se coltiner les politiques », assure un observateur. Irremplaçable Charles Edelstenne ? Le haut fonctionnaire de la Défense que j’ai interrogé n’est pas loin de le penser : « C’est un homme remarquable. Et c’est un mec qu’on ne baise pas sur les chiffres ». Depuis que Marcel et Serge Dassault lui ont proposé d’investir au capital de Dassault Systèmes, une filiale devenue un fleuron de l’électronique qu’il a contribué à créer dans les années 1980, Charles Edelstenne a amassé une sacrée cagnotte : selon Forbes, c’est la 26e fortune professionnelle de France en 2021, avec près de 2,5 milliards d’euros. Cet été, ce patron et redoutable financier a d’ailleurs acheté de nouvelles actions de Dassault Systèmes pour 7 millions d’euros.
Mettre un terme au statu quo historique ?
Dans la bataille qui oppose cet homme de pouvoir à la famille, un premier épisode s’est déroulé au début de l’été. Alors que les enfants avaient tenté de placer l’ancien ministre Alain Lambert à la tête du comité des sages du groupe, Charles Edelstenne avait finalement réussi à imposer Henri Proglio, l’ancien patron de Veolia et d’EDF, à la présidence dudit comité, lieu clé pour contrôler la future succession. De son coté, Henri Proglio serait intéressé de succéder à Charles Edelstenne, mais sans grande illusion : il sait que le président Emmanuel Macron l’a inscrit depuis longtemps sur sa liste noire. À moins que le rapport de force n’ait évolué avec le temps ?
À son époque, Serge Dassault avait d’ailleurs envisagé de nommer Henri Proglio, un profil pour le moins politique, pour succéder à Charles Edelstenne. En attendant, la famille n’a pas dit son dernier mot. Certains souhaiteraient mettre un terme au statu quo historique, et renverser la table. En coulisses, Laurent Dassault caresse toujours l’idée de proposer à Vincent Bolloré d’entrer dans GIMD comme partenaire minoritaire, comme je l’avais dévoilé l’année dernière dans Marianne, espérant ainsi avoir enfin son mot à dire face à l’État.