[fiction] « House of cards » version Macron
En 2020, j'avais écrit une fiction d'été pour La Tribune, façon Les Échos de la grande époque, sur les débuts du premier quinquennat Macron. La suite de l'histoire a parfois dépassé la fiction...
À l’époque, la proposition m’avait été faite par le directeur de la rédaction de La Tribune, Philippe Mabille, un pilier du quotidien économique et un journaliste qui aime autant la petite que la grande histoire : « ça t’intéresserait de faire une fiction d’été sur les débuts de Macron à l’Élysée ? ».
J’avais eu alors carte blanche pour raconter les premiers pas d’Emmanuel Macron rue du faubourg Saint-Honoré comme président, sur le mode de la fiction, à la manière des séries d’été de la grande époque des Échos qui adoraient proposer lors de la pause estivale, loin de l’actualité parisienne, ce genre de récit à ses lecteurs sur les coulisses du pouvoir politique et économique. Des vraies-fausses fictions, où s’entremêlaient vérités et situations vraissemblales, et où toutes les outrances de situation étaient permises, avec un seul but : amener finalement les lecteurs à toucher un peu plus du doigt la réalité d’une époque ou le fonctionnement indicible des coulisses, parfois « inatteignable » par un article de presse classique.
Par cet exercice, on touche du doigt les limites du journalisme, et notamment du « journalisme à la française », trop souvent légitimiste à l’égard des institutions politiques et oubliant un peu trop vite son rôle de contre-pouvoir. En télévision, le succès des séries américaines (ou étrangères) sur les coulissses des pouvoirs, politiques et économiques, et sur ce que les historiens appellent l’histoire immédiate, démontre en creux une attente du public, et notamment du public français, d’aller au-delà de la communication politique et des sacro-saints éléments de langage. On pense bien sûr aux classiques du genre comme The West Wing, House of Cards, Borgen, mais aussi, dans une version plus grand public, Scandal, qui a été inspirée par Judy Smith, une pro de la communication, qui a travaillé comme conseillère du président George H. W. Bushn sans oublier, bien sûr, l’indépassable The Wire, écrite par le journaliste David Simon et dont le sujet porte sur sa ville de Baltimore.
Sur des terrains plus sensibles d’ailleurs, comme celui de la grande criminalité internationale ou du renseignement, on peut penser à Gomorra, Narcos, The Americans, ou plus récemment, à Black Doves ou à La Diplomate, là encore les scénaristes américains ont réussi ces dernières années à ringardiser encore un peu plus la presse (mais aussi le cinéma classique, mais c’est un autre sujet), dans la mission de « donner à voir » au public, de jouer les petites souris de la démocratie. Mais même Hollywood s’est fait prendre à son propre piège : car dans l’ère de la post vérité et de la post covid, la réalité dépasse souvent la fiction.
Je vous propose donc aujourd’hui de relire ma « fiction d’été » écrite en 2020, car sur bien des aspects, il me semble qu’elle n’a pas si mal vieilli, au regard de la situation de la France et de son histoire politique récente. À travers cet exercice, j’avais rassemblé de nombreuses informations, voire quelques révélations recoupées, tout en profitant du mode fictionnel, pour inventer certaines mises en scène, ou au contraire relater certains coulisses tout à fait véritables. À vous de décrypter ce qui est de l’ordre de la fiction ou au contraire ce qui est de l’ordre des coulisses rapportés. Du côté de La Tribune, pour laquelle j’écrivais une chronique hebdomadaire et des enquêtes, Mabille avait alors respecté sa carte blanche, en publiant tel quel mon récit. Quelques mois après, à l’occasion d’un échange SMS avec Edwy Plenel, un des personnages qui apparaît dans mon récit, ce dernier m’avait remercié, sous forme de clin d’œil, de l’avoir cité…
Épisode 1 : Darmanin, ou la malédiction de l'Intérieur
À Lyon, de retour chez lui, Gérard Collomb n'arrête pas de ruminer et de se repasser le film du quinquennat. Il jette un oeil à ses cartons tout juste déménagés de la mairie après sa cuisante défaite aux Municipales face aux Verts. Dedans, quelques archives, des photos de lui durant la dernière présidentielle. Il soupire. Le vieux lion est amer. Fatigué, aussi. En 2017, il avait jeté toutes ses forces dans la bataille, au point de se retrouver quelques jours à hôpital après l'élection, pour cause de surmenage. Un an et demi plus tard, l'affaire Benalla éclate en plein été. À l'époque, il « règne » sur la place Beauvau, le ministère de l'Intérieur, enfin le croit-il. Il a surtout l'impression de se faire balader par l'Elysée et son cher ami « Manu ». Jamais, il n'aura d'explication franche de la part de son ancien champion à propos de ce jeune chargé de mission inconnu qui va provoquer une déflagration dans toute la République et semer le doute sur le pouvoir. Il se souvient encore des mots du président de la République qui a encore voulu le retenir en octobre 2018 quand il a annoncé son départ dans la presse : « Je t'ai sauvé la vie, c'est Philippe qui voulait te virer au moment de l'affaire Benalla ! »
Mais le charme est rompu. Gérard n'a plus confiance en son ancien poulain, il claque la porte d'une « maison » qu'il n'a jamais comprise. Quelques jours plus tard, il échange à son sujet avec son ami Bayrou : « Mais tu te rends compte François ? Comment-a-t-il pu me faire ça ? Il m'a demandé de démissionner, pour me faire porter le chapeau de ce Benalla ! » À l'autre bout du fil, le béarnais, toujours exilé à Pau, et mis en examen, compatit : « Oui, Gérard, je sais, il me l'a fait à l'envers à moi aussi. C'est un psychopathe. Et puis, tu as vu toute cette mafia sarkozyste autour de lui, c'est quoi ce délire ? Comment l'expliques-tu ? Je n'avais pas "acheté" cela en 2017. On s'est bien fait avoir ». Collomb a du mal à recoller les morceaux. Il sait que Nicolas Sarkozy poussait depuis le printemps 2018 Emmanuel Macron à le remplacer par Gérald Darmanin avec Frédéric Péchenard comme secrétaire d'Etat. Autant le grand flic sarkozyste a son respect, autant il considère le maire de Tourcoing comme un opportuniste, un "petit" Sarkozy. Collomb sait que cette option a pourtant longtemps tenu la corde à l'Elysée. À l'époque, il lui arrivait souvent d'appeler son vieil ami Michel Charasse, qui avait alors l'écoute du président de la République. « Michel, tu y comprends quelque chose, toi ? »
Bien sûr, que Michel comprend. L'ancien ministre de Mitterrand connaît sa Sarkozie sur le bout des doigts. Depuis la cohabitation avec Balladur, il s'est rapproché du ban et de l'arrière ban des réseaux sarkozystes de Beauvau. Il connaît les petits arrangements, les combines des uns et des autres. Il est devenu un spécialiste des complots, petits et grands, de la République. Alors, la perspective de voir Darmanin débarquer à l'intérieur, il préfère en sourire. Quand Gérard lui raconte que Macron lui a confié deux jours après l'article du Monde sur Benalla que tout cela n'était qu'un complot sarkozyste, il ne peut s'empêcher de partir dans un grand éclat de rires. « Gégé », comme l'appelle Brigitte Macron, ne comprend toujours pas : « Tu sais ce qu'Emmanuel m'a dit deux jours après l'article ? En réunion de crise ? Que tout cela n'était qu'un coup de Bernard Squarcini, l'ancien patron de la DCRI ! »
Le « squale », comme il est surnommé par le tout Paris, s'amuse également de l'anecdote. Comme le dit son ancien ami Sarko, « de la mauvaise pub, c'est toujours de la pub ». Justement, dans l'entourage de Sarkozy, on s'impatiente. Le tir de barrage mené par Bayrou auprès de Macron contre la candidature Darmanin à l'Intérieur n'a pas été apprécié. L'ancien président pourtant, reste étonnamment calme, serein. « Tout cela va mal finir. Ne bougez pas, pour l'instant », explique-t-il à ses affidés. L'ancien président rumine sa revanche contre François Hollande. Il ne cesse de pester contre la justice, les juges rouges, le Parquet National Financier ! Les premiers ennuis d'Emmanuel Macron ne sont pas pour lui déplaire, il peut ainsi distiller ses conseils auprès de l'intéressé, qui ne manque jamais de l'écouter, consciencieusement, comme l'élève qu'il était à Henri IV : toujours donner l'impression d'écouter l'autre, le mettre en valeur, le flatter. Macron sait comment gérer Sarkozy. Enfin, le croit-il. Les deux fauves se jaugent, se tournent autour...
Il aura donc fallu attendre près de deux ans pour que Darmanin accède enfin à Beauvau. Dès le lundi soir de sa nomination, il n'attend pas une seconde pour appeler son prédécesseur : « Comment tu vas Casta ? Pas trop dur ? ». Castaner bafouille. Lui, comme Collomb, n'a pas le moral. « J'ai tout donné à Emmanuel, et il me vire comme un malpropre », rumine-t-il. « Tu vas voir Casta, les flics, je vais fissa les mettre dans le droit de chemin. Ils ont besoin d'un chef. Je te le dis, tu étais trop sympa avec eux. Et puis, tu vas voir, les rouges, les anars, je vais les casser, ils vont avoir peur de moi ». Castaner encaisse. En même temps, il n'est pas mécontent de quitter le navire au moment où il semble de plus en plus tanguer vers la droite. Il se dit que les vacances pour lui tombent à pic. Il va pouvoir se remettre à s'amuser avec ses amis, loin des caméras, reprendre son vieux scooter sur la Côte d'Azur. Il a quand même une dernier corvée à finir. Alors qu'il commençait à rêvasser à la suite, la voix cassante du nouveau patron des lieux le réveille : « Allo Casta ? T'est toujours là ? Hein, alors, on est d'accord, j'arrive ce soir à Beauvau, et t'assures la passation de pouvoir, avec tout le tralala ? Ok ? ».
En se dirigeant vers la place Beauvau, Darmanin reçoit un coup de téléphone de Nicolas Sarkozy en personne : « Ah mon Gérald, je tenais à vous féliciter pour votre nomination. On va pouvoir travailler ensemble pour le bien de la France. Il y a tellement de choses à faire. Mais la partie va être difficile, même si on a Castex dans la place. Je compte sur vous. En tout cas, félicitations ». Darmanin ressent une joie intense dans tout son corps, comme s'il avait gagné une course. Il a coiffé au poteau tous les prétendants, mis de côté les récriminations du père Bayrou, qui pestait déjà contre les sarkozystes auprès d'Emmanuel Macron. Mais, surtout, il a pu parler droit dans les yeux avec le président de la République. Première fois qu'il passe autant de temps avec lui.... « Cher Gerald, je te le dis, d'homme à homme, aie confiance dans la justice de ce pays, et ce pays te soutiendra », lui lance d'une manière sibylline le chef de l'Etat lors de leur rencontre. Façon Mitterrand.
Ah, cette fameuse justice ! Elle qui le pourchasse depuis le début du quinquennat pour ce qu'il appelle, auprès de ses proches, ses « écarts de jeune homme ». Alors, forcément, le dernier coup de fil avant son arrivée lui fait l'effet d'une douche froide : « Allo monsieur le ministre, c'est le Premier ministre à l'appareil. Je voulais vous prévenir : d'un commun accord avec le président, on a décidé de nommer auprès de vous comme directeur de cabinet l'actuel coordonnateur du renseignement et de la lutte contre le terrorisme, Pierre Bousquet de Florian. Je pense que c'est la meilleure solution. C'est un homme d'expérience. Il connaît bien la maison ». Silence du côté de Darmanin : il a beau être un jeune, il sait que Bousquet, ex patron de la DST sous Chirac, déteste de près ou de loin tout ce qui ressemble à la Sarkozie. Cela date de l'affaire Clearstream 2, et de son éviction par Bernard Squarcini. Pourtant, les choses ne sont pas encore faites.
À l'Elysée, Emmanuel Macron rencontre au même moment celui qu'il avait nommé en 2017 et qui n'a pas du tout envie de reprendre du service à l'Intérieur, pas à son âge : « Monsieur le président, cette proposition m'honore, mais j'ai également peur de vous laisser seul avec certaines personnes de votre entourage... » Ce à quoi le chef de l'Etat répond, martial : « Je vous arrête, Pierre. Prenez le comme un ordre. Et puis, j'ai besoin de vous, pour la suite ». Décidément, le chemin risque d'être long jusqu'en 2022. Mais pour Jupiter, le temps presse. En regardant Bousquet s'éloigner de son bureau, le président repense à ce blanc bec de Darmanin : « Au premier écart, je lui balance une balle dans la tête, se dit-il. Comme tous les autres, il sera mort avant de pouvoir s'envoler... » Pas sûr que les manifestations de féministes contre le ministre de l'Intérieur ne lui déplaisent vraiment. Le piège peut se refermer.
Épisode 2 : Brigitte et le «gang» des femmes
Ce soir-là, Roselyne Bachelot dîne avec la Première Dame à l'Atelier Éphémère, un petit restaurant du Touquet, situé à deux pas de la plage, rue Saint-Jean, à une centaine de mètres de la maison des Macron. Les deux femmes ne se connaissent pas très bien, mais ces deux-là s'entendent déjà à merveille. Et toutes les deux ne sont pas mécontentes de leur petit effet avec le remaniement. « Tu as vu ce que j'ai dit sur France Info ? Je leur ai répété que je ne me mêlais surtout pas de politique, et que je ne me sentais pas Première Dame... » Bachelot ne peut réprimer un petit rire nerveux : « Oui, c'est un peu comme moi qui avait dit que je ne reviendrai jamais en politique ! », lance spontanément l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. Brigitte Macron esquisse alors un sourire complice.
Les deux femmes s'étaient déjà croisées lors d'un vernissage de peintures, réalisées par le compagnon de l'un des collaborateurs de Brigitte. Paris est un village, et tout le monde se connaît. Un peu comme au Touquet. Des échos dans la presse ont rapporté que l'autre surprise du nouveau gouvernement, le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, s'était laissé convaincre par Brigitte Macron d'entrer au gouvernement. Après le ministre Jean-Michel Blanquer, « l'épouse du chef de l'Etat » telle qu'elle souhaite désormais être présentée, peut donc compter sur un nouvel allié au coeur du pouvoir. En réalité, Dupond-Moretti, au carnet d'adresses bien fourni, fut l'avocat de l'une de ses connaissances, la productrice Yamina Benguigui, par ailleurs meilleure amie de son plus proche confident, l'ancien animateur télé Bernard Montiel.
Une histoire de famille donc. « J'aime beaucoup sa femme Isabelle par ailleurs », ajoute-t-elle. Bachelot n'est pas dépaysée. Depuis qu'elle traîne sur les plateaux télé comme chroniqueuse, le show-biz, ça la connaît. « C'est vrai, elle est très gentille, mais je préfère quand même l'Opéra ! » s'exclame l'ancienne ministre de la Santé. « Bon, tu sais, on me présente comme la véritable ministre de la Culture, mais je veillerai à te soutenir dans tout ce que tu entreprendras », tient tout de même à dire Brigitte Macron, entre le fromage et le dessert. « Naturellement, je ferai attention à Stéphane, il est tellement engagé dans sa mission sur le patrimoine », répond opportunément Bachelot. On ne perd pas ses réflexes politiques.
« Comment vois-tu 2022 ? » demande alors Brigitte Macron à Roselyne Bachelot. « À l'heure actuelle, je pense que l'actuel président a toutes ses chances. Qui lui arrive à la cheville ? Sarkozy ? Il a ses ennuis avec la justice. Hidalgo ? Dati ? Ce n'est pas sérieux... », tranche immédiatement la ministre, tentant de montrer un maximum de loyauté à l'égard de son nouveau patron. Pas question de laisser poindre la moindre ambiguïté à ce sujet. Bachelot sait qu'en politique le choc des égos peut créer des étincelles. La Première Dame se laisse alors aux confidences : « Franchement, je ne sais pas s'il en a envie. Tellement d'énergie dépensée, et si peu de retours positifs. C'est vraiment un métier ingrat. Regarde le dernier plan européen, les médias expliquent qu'on doit tout à Angela Merkel ! C'est tellement injuste pour Emmanuel. Tout le monde a déjà oublié son discours de la Sorbonne. Et puis, je ne sais pas si c'est une bonne idée de se lancer de nouveau dans l'aventure de la présidentielle. Déjà que je n'ai pas aimé la précédente campagne... » Bachelot n'est pourtant pas dupe. Le coup du « attrapez-moi, ou je fais un malheur », elle le connaît par coeur : « Moi je pense que ton mari a la politique dans le sang. C'est un gagnant, ça se voit, c'est pour ça que je l'ai rejoint. De ce point de vue, il ressemble à Nicolas (Sarkozy), c'est un vrai animal politique et moi j'aime ça », conclut provisoirement la ministre.
Brigitte Macron embraye sur l'équipe de son président de mari : « Sa principale faiblesse, jusqu'à présent, ça a été son équipe. Pas assez solide, pas assez loyale, et puis tous ces "technos" arrogants autour de lui, qui l'empêchent toujours d'avancer dans ses projets, et qui ne sont pas en contact avec le pays », soupire-t-elle. Dans ce domaine, le départ d'Edouard Philippe n'est pas pour lui déplaire. Loin de là. Cela faisait des mois qu'elle alertait Emmanuel du double jeu de son Premier ministre. Dans son viseur également, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, coupable à ses yeux d'avoir trop joué en faveur de Matignon, et de son ancien directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas. « Très tôt, il s'est comporté comme le président bis, mais ce n'est pas son rôle ! » s'emporte-t-elle. A l'Elysée, le secrétaire général est aujourd'hui bien seul. De l'équipe originelle de 2017, il ne reste pratiquement plus que lui. « Au moins, moi, je sais rendre fidèle mes collaborateurs ! » ironise alors Brigitte Macron. Elle pense alors à ses chers Pierre-Olivier (Costa), Tristan (Bromet), et puis à Bruno (Roger-Petit), le conseiller mémoire de l'Elysée, dont son bureau jouxte les siens. « Ce sont mes mousquetaires. Ils m'ont toujours protégé », ajoute-elle.
Brigitte Macron s'enquiert alors de la santé de Bernadette Chirac. Ces dernières semaines, on l'a dit souffrante. Roselyne Bachelot n'a pas plus de détails. Alors qu'elle a récupéré la présidence de l'opération pièces jaunes, la Première Dame n'a que peu de nouvelles en dehors de celles que lui donne son amie Line Renaud. Car le clan autour de Claude Chirac, la fille adorée de l'ancien président, préfère mettre les Macron à distance. Déjà, lors des obsèques de Jacques Chirac à l'automne dernier, sa fille, habile communicante, avait mis à distance l'Elysée, malgré l'envie d'Emmanuel Macron de s'emparer de « l'événement ». La gardienne du temple avait imposé une cérémonie intime. Ce jour-là, le chef de l'Etat n'a prononcé aucun discours. Son nom ne fut même pas évoqué dans le communiqué de l'archevêché pour annoncer la cérémonie solennelle à Saint-Sulpice. Et surtout, crime de lèse-majesté, il n'a eu le droit à aucune image avec la famille. Durant quelques heures, le virevoltant Macron est apparu comme un président effacé. « Le jour des obsèques, j'ai compris pourquoi il ne pouvait pas gagner en 2022 », confie alors Jean-Louis Borloo, à l'un de ses amis. « Il ne faut jamais sous-estimer les femmes en politique ».
Épisode 3 : La République des initiés
Quelque part du côté de l'avenue d'Iéna, dans le « triangle d'or » parisien, entre la Seine et les Champs-Elysées, Alex tourne en rond dans le grand appartement qu'un de ses amis lui a prêté depuis qu'il est sorti de prison. Sa libération, il l'attendait depuis plusieurs semaines, et elle est intervenue, comme par ironie, un jour avant le confinement national décidé par le président Macron. Le 16 mars, l'intermédiaire Alexandre Djouhri, mis en examen dans le dossier du financement libyen présumé de la campagne de Nicolas Sarkozy en 2007, fut ainsi libéré de la prison de Fresnes, pour raisons médicales. La nouvelle passa quasiment inaperçue au moment même où le pays tout entier sombrait sous l'épidémie de Covid-19. Les exégètes des coulisses parisiens se perdirent pourtant en conjectures.
Depuis, « Monsieur Alexandre » prend son mal en patience. Pour occuper son temps, il ne loupe aucune miette des dernières actualités politiques... « On l'a sauvé ! Son quinquennat était foutu, il n'avait plus rien à dire... », expose ainsi Alex à l'un de ses amis. La personne au centre de son attention ? Emmanuel Macron, bien sûr. C'est du reste ce que les sarkozystes du premier cercle aiment se dire depuis le dernier remaniement. Le policé Camille Pascal, ancienne plume de Nicolas Sarkozy à l'Elysée, et ancien directeur de cabinet de Dominique Baudis au CSA, s'amuse de la situation, en envoyant le SMS suivant à son ancien patron : « Vous êtes revenu ? » De son côté, Alex est doublement satisfait, car son ancien avocat, maître Dupond-Moretti n'est autre que le nouveau garde des Sceaux. Il n'a pas essayé de le joindre bien sûr, il sait qu'il ne le prendra plus au téléphone. Comme l'ami Jean-Louis (Borloo) aime à le dire : « Toute la République a été mise sur écoutes par le PNF ! » Les masques sont tombés depuis les révélations du Point, mais cela faisait des années que l'ancien ministre de l'Écologie de Nicolas Sarkozy pestait contre ce qu'il considérait comme « le cabinet noir de François Hollande ».
Homme de gauche, de « sang mêlé », Dupond-Moretti, surnommé « Acquittator », n'est pas loin de penser la même chose. Les magistrats le craignent. L'un d'eux a d'ailleurs préféré raccrocher les crampons. Procureur en Guadeloupe, Jean-Luc Lennon fut par le passé en poste à Bastia, et avant encore, il fut un ancien flic dans les Hauts-de-Seine... De quoi former un magistrat chevronné. De quoi aussi lui apporter la « carte mentale » lui permettant de s'y retrouver dans ces entrelacs de relations qui forment notre République des initiés. Lui, comme d'autres, savent très bien comme interpréter les récentes promotions gouvernementales. Comme on dit, plus c'est gros, plus ça passe. C'est que maître Dupond-Moretti entretient notamment des liens d'amitié avec Thierry Herzog, l'avocat et ami de Nicolas Sarkozy. « Thierry est un fan de chanson française, il connaît Serge Lama par coeur », dit de lui son ami Eric. Ces derniers mois, Dupond-Moretti s'était également rapproché de Brigitte Macron. L'avocat a d'ailleurs eu comme cliente l'une de ses connaissances, la productrice Yamina Benguigui.
Dupond-Moretti, mais également Darmanin à l'Intérieur. Nicolas Sarkozy ne cesse de se réjouir de ces dernières nominations. Il revient de loin pourtant. À l'automne 2016, l'ancien président perdait les primaires de la droite. « Si j'avais gagné, jamais Macron n'aurait été élu. Mais, en 2022, ça ne va pas être le même scénario », se rassure-t-il. Sarkozy ne peut supporter de s'être fait griller la politesse par un jeune banquier de chez Rothschild. Mais il préfère jouer fair-play : « Il fait de son mieux. Les dernières nominations vont dans le bon sens », explique-t-il aux journalistes.
À l'automne 2016, pourtant, comme Alex aujourd'hui, Nicolas comptait ses amis. À l'époque, même certains de ses proches avaient tourné casaque. En septembre de cette année-là, le magazine Valeurs Actuelles l'avait invité à rencontrer plusieurs centaines de lecteurs dans le très chic Pavillon Royal, niché au coeur du bois de Boulogne. Sarkozy est alors d'une humeur de chien. Dans la loge, l'ambiance est glaciale. Dès les premières minutes, il fait mine de ne pas vouloir monter sur scène. Finalement, malgré quelques minutes de retard, il se lance devant les 500 participants au dîner. Après avoir fait son show durant plus d'une bonne heure, et avoir répondu aux dernières questions, Nicolas Sarkozy se lève pour dire au revoir, et reprend d'un coup le micro : « Je vous remercie, surtout je ne veux pas que vous pensiez que je suis un homme seul, je suis venu avec des amis politiques fidèles... J'ai des alliés. J'ai des collaborateurs... Véronique Waché, Sébastien Proto... Et il y a les amis. » Il se tourne vers Yves de Kerdrel, alors directeur général de Valeurs Actuelles : « Tu es un ami ». Puis s'oriente vers Camille Pascal, attablé dans l'assistance : « Et vous avez un ami que vous connaissez, lisez toutes les semaines... » Il demande à l'intéressé de se lever. Et conclut : « Ce message s'adressait bien à ceux auxquels il était destiné ».
À l'automne 2016, les co-actionnaires de VA, Charles Villeneuve comme Etienne Mougeotte, soutenaient Alain Juppé. Cinq ans plus tôt, alors que Nicolas Sarkozy était encore à l'Elysée, les deux compères avaient participé aux réunions du « groupe Fourtou », du nom du grand patron de Vivendi qui avait réuni communicants, chefs d'entreprises et autres « influenceurs » pour aider le président d'alors à se faire réélire. Parmi les participants du groupe Fourtou, on trouvait alors un certain Sylvain Fort, qui deviendra plus tard la plume d'Emmanuel Macron à l'Elysée. Comme quoi, les transfuges sont toujours utiles en politique.... Et aujourd'hui, avec certains de ses proches au coeur même du pouvoir, Sarkozy compte bien en profiter : « Il est comme requinqué. Macron a du souci à se faire », observe un de ses proches. D'ailleurs, Sarko appelle constamment son ami le publicitaire Jacques Séguéla qui a inventé le slogan « Si c'est le chaos, c'est Sarko ». « T'as vu Jacques, j'ai repris ton idée pour mon dernier livre. Je l'ai appelé "Le temps des tempêtes". Je voulais vraiment te remercier, car je crois que j'ai retrouvé mon modjo. Et tu as raison, Macron n'est pas du tout à la hauteur ».
Épisode 4 : Nettoyage d’été à LREM
« C'est un peu un cul de sac, ce parti ! », lance un ancien d'En Marche en ce début d'été. À la rue Saint-Anne, où est situé le siège de LREM, la seule sortie de secours donne d'ailleurs sur l'entrée principale : il n'est pas possible de s'enfuir autrement... À « En Marche », ils sont pourtant nombreux à vouloir quitter le navire. À l'Assemblée, les réunions et autres déjeuners se transforment vite en bureaux des pleurs. Après la bérézina des municipales, les « marcheurs » ont vraiment le moral en berne. Le patron du mouvement, Stanislas Guerini, a décidé de se mettre en stand by : « on a vraiment l'impression que l'Elysée s'en fout royalement », expose-t-il à des amis. À l'Elysée, Alexis Kohler savoure : le secrétaire général n'a jamais été un chaud partisan de la sauvegarde d'un parti présidentiel. Son opinion était faite dès 2017. Le président lui-même ne croit plus qu'En Marche peut lui servir à quelque chose. « J'ai comme l'impression que Macron leur dit : les gars, continuez à foncer droit dans le mur... » se marre un ex-macroniste.
Alors ce matin, ça ne va décidément pas fort rue Saint-Anne. Sibeth Ndiaye vient pourtant d'arriver pour la première réunion de la « Commission nationale des talents » dont elle fait désormais partie. Sa mission est donc de trouver de nouveaux talents pour renflouer les forces vives d'En Marche. C'est pourtant loin de ses préoccupations actuelles. « J'ai déjeuné il y a quelques jours avec Cédric, il n'en pouvait plus d'attendre, c'est totalement inhumain ce que l'Elysée a fait subir aux secrétaires d'Etat ! », lance-t-elle, encore en mode post-trauma. À l'autre bout de la table, l'un des pontes de LREM, Jean-Marc Borello, patron du groupe SOS, et ami du couple présidentiel, la regarde avec amusement. Lui qui a commencé la politique au cabinet de Gaston Defferre à Marseille au début des années 1980, en a vu d'autre. « C'est la Vème République ma chère Sibeth », répond-il, un brin goguenard.
La frustration de Sibeth Ndiaye est pourtant ressentie par nombre de ses anciens collègues de la « bande de la Planche ». Ceux que l'on présentait comme les plus fidèles d'Emmanuel Macron se retrouvent bien esseulés depuis quelques mois. Leur « chef », Ismaël Emelien, est parti de l'Elysée début 2019. Et leur champion de substitution, Benjamin Griveaux, qui devait ravir la mairie de Paris, s'est retrouvé éjecté de l'arène parisienne après l'épisode peu glorieux de sa porn video dévoilée sur Internet. « Emmanuel n'est plus le même », raconte Sibeth à un ancien conseiller d'Arnaud Montebourg, qui opine : « On dirait qu'il s'est fait gouroutiser par Patrick Buisson comme durant la seconde partie du mandat Sarkozy ». Sibeth et son ancien camarade s'étaient retrouvés l'été dernier lors d'un week-end organisé par l'ancien ministre du Redressement productif qui s'était amusé à rassembler ses anciens collaborateurs. Sibeth, devenue Porte-parole du gouvernement, avait passé une tête au cours de ce week-end champêtre. Le temps de faire une photo avec Arnaud... et de se rappeler les bons souvenir du quinquennat Hollande, quand le PS existait encore, vraiment.
Sibeth a le vague à l'âme. Comme tous les bébés de la Planche, elle comme Emelien se cherchent un nouveau patron. Via une boucle Telegram, chacun y est d'ailleurs allé de son commentaire quand, en cours de confinement, leur ancien mentor Dominique Strauss-Kahn a publié un long texte sur l'épidémie de Covid-19 et ses conséquences économiques. « Quel souffle ! ». « Dominique est vraiment un grand homme ». « Lui a une stratégie, une vision ». « Et puis, il est crédible ». Ces derniers jours, le clan de la Planche s'est également amusé de voir que l'ex-socialiste Didier Guillaume s'est fait sortir du gouvernement alors qu'il avait accepté de renoncer à concourir aux municipales à Biarritz. « Encore un qui s'est fait avoir par le patron... », soupire un. « Vous vous rendez compte, Brigitte aura eu raison de nous ! » s'emporte un autre. Quand Telegram devient une thérapie de groupe... Pourtant, quand le président Macron leur envoie encore un message par ce même canal, tous répondent au garde à vous. « Comment tu vois les choses Ismaël ? ». « Tu peux me faire un mémo d'ici lundi ? ». « Faites-moi vos propositions ». Comme l'illusion de peser encore. Mais au fond d'eux, tous savent que le quinquennat n'est déjà plus le leur.
D'autres y croient encore. Leurs rivaux historiques dans la macronie, les jeunes de la « bande de Poitiers », ces anciens du MJS canal Cambadélis. À leur tête, l'ancien conseiller politique d'Emmanuel Macron à l'Elysée, Stéphane Séjourné, mais également les députés Pierre Pierson et Sacha Houlié. Quelques jours avant le remaniement, ceux-là espéraient encore pouvoir mettre la main sur En Marche. Ils multipliaient les réunions pour peaufiner leur OPA, se répartissaient déjà les postes, imaginaient encore un tournant social au quinquennat. Et puis, rien. Leur opération échoua avant même d'être lancée. À l'Elysée, un allié s'en est allé, le conseiller spécial Philippe Grangeon, annoncé sur le départ depuis de nombreux mois. Leur ancien camarade Aurélien Taché, qui a préféré partir d'En Marche avec quelques autres pour fonder un nouveau groupe à l'Assemblée, dénommé « écologie, démocratie, et solidarité », n'a pourtant cessé de leur répéter : « Je vous avais prévenu, il n'y a plus rien à attendre d'En Marche ». C'est l'avis du reste d'un autre député, l'entrepreneur lyonnais Bruno Bonnell qui avait rêvé, au tout début du quinquennat, de diriger ce nouveau parti mouvement. Depuis, lui comme d'autres tentent de tracer leur route sans se préoccuper du président. L'heure du grand déballage n'est pourtant pas encore venu.
Épisode 5 : L’Elysée entre chiens et loups
Ce soir d'août, c'est la fête à l'Elysée. Le couple Macron a invité les principaux ministres du gouvernement, mais également certains de ses plus fidèles soutiens. Après la période de l'épidémie de Covid-19, l'heure est à la détente auprès du chef de l'Etat. Le carton d'invitation indique 20h30. Les premiers invités arrivent par grappes, remontant la cour d'honneur, traversant ensuite les salons pour rejoindre le jardin. C'est sur la pelouse que les tables ont été dressées, des flambeaux ont été disposés un peu partout autour. Quand on s'éloigne des tables, les visages sont plongés dans une demi-obscurité d'été. Le président reste debout sur les marches qui amènent au jardin. À ses côtés, se tient Olivier Dussopt, cet ancien socialiste venu de l'Ardèche promu ministre délégué des comptes publics lors du dernier remaniement. Les deux hommes vont continuer à échanger à l'écart du reste des invités toute une partie de la soirée. De son côté, Brigitte Macron passe de table en table pour saluer les convives.
Tout d'un coup, des cris s'échappent de la salle des fêtes du palais : « C'est vous le sauvage ! », « Des années de colonisation pour aboutir à quoi ? À la guerre civile ! », « On ne gouverne pas la France pour les bobos ! », « Oh, mais le seigneur de Vendée n'est pas content ? » Piqués dans leur curiosité, certains des invités se rapprochent de la salle des fêtes. Un petit attroupement forme une sorte de cercle, comme pour assister à un combat de boxe. Au milieu de l'arène improvisée, on trouve le vicomte Philippe de Villiers en grande joute avec l'écolo soixante-huitard Daniel Cohn Bendit. « Cher monsieur, moi, j'ai l'écoute d'Emmanuel, il sait que l'Europe est le seul projet progressiste possible, le seul projet pour la France », assène ce dernier, pas mécontent de son petit effet « je suis l'ami du président ». « Vous voulez savoir ce qu'il me dit le Président ? Il me dit que j'ai bien raison de critiquer les technocrates, qu'ils soient de Paris ou de Bruxelles », lui répond de Villiers. Et l'homme de droite de tacler l'ancien gauchiste : « Et comment vous pouvez vous dire l'ami du président, alors que son ministre de l'Intérieur, Gérald Darmanin cite explicitement un auteur d'extrême droite, Laurent Obertone, en parlant "d'ensauvagement" de la société... Ce n'est pas vraiment vos idées, non ? ».
Dany voit rouge : « Mais c'est le rôle d'un président de la République de parler à tous les Français ! Et Emmanuel n'a jamais dévié de son projet initial, il est toujours fidèle à ses discours de 2017, tenez, regardez ce qu'il a demandé à faire à Stora sur l'Algérie, c'est pas vraiment votre tasse de thé ce travail de mémoire sur l'Algérie, hein, monsieur le réactionnaire... Et puis, Emmanuel lui-même a parlé d'ensauvagement du monde lors de son discours des ambassadeurs en 2019, pas vrai Romain ? » Romain, c'est Romain Goupil, un des nombreux visiteurs du soir du président depuis le début du quinquennat. Le cinéaste, ex Mao, posté à côté de Cohn-Bendit, comme prêt à faire le coup de poing, opine immédiatement : « Oui, et l'ensauvagement du monde, c'était le thème de la géopolitologue Thérèse Delpech, notre amie avec Dany, qui était, comme nous, favorable à la guerre en Irak ! Car le seul avenir possible de la France passe par les Etats-Unis ».
« Ah bon ? Ah bon ? Les Etats-Unis de Trump continuent de vous faire rêver ? », répond immédiatement de Villiers. « Je n'ai pas l'impression que c'est le sentiment d'Emmanuel Macron qui essaye de trouver une nouvelle voie avec Vladimir Poutine ». « Mais que racontez vous là ? Poutine est un odieux personnage, qui a essayé de déstabiliser sa campagne en 2017 ! » éructe alors Goupil.
« Oh, vous savez l'essentiel est de retrouver le chemin de la concorde nationale, l'essentiel est de rétablir l'ordre républicain, notamment dans les écoles... », lance alors un nouveau venu dans la discussion. Il s'agit du politologue Laurent Bouvet, qui est venu accompagné de sa femme, Astrid Panosyan, cadre à Unibail, et l'un des piliers d'En Marche. « Et je crois qu'avec Brigitte Macron et Jean-Michel Blanquer, on a fait évoluer Emmanuel sur cette thématique. D'où son discours sur le séparatisme ». « Mais ce discours d'exclusion est affreux ! Il ne vise que l'Islam en réalité », s'énerve alors Cohn-Bendit. « Vous êtes un angéliste Daniel, et on a vu ce que ça a donné ces dernières années », lui répond Bouvet. « D'ailleurs, le président m'a commandé une note sur le sujet pour sa prochaine campagne ». « Ah bon ? Mais moi aussi ! Il m'en a demandé une sur la jeunesse ! » s'étonne une nouvelle fois Dany.
« Le "en même temps" macronien a encore frappé ! » s'exclame alors la journaliste Anna Cabana venue accompagner son compagnon Blanquer à la fête élyséenne. « Oui, c'est vrai, c'est comme Thiphaine Auzière qui lance une classe préparatoire privée dans le 16ème arrondissement... », ose alors Goupil. C'est le moment qu'a choisi Brigitte Macron pour arriver au milieu du petit groupe, accompagnée de son ami Bernard Montiel, l'ex-animateur de télévision. « On parle de ma fille ici ? Je suis très fière d'elle », expose alors la Première Dame suffisamment fort pour être entendue d'une bonne partie de l'assistance qui commence à se désagréger. Les convives reviennent alors dans le jardin pour déguster le dîner. Il est à peine 22 heures, mais Jean-Yves Le Drian préfère prendre congé, et regagner son appartement parisien. Il a encore un dernier conseil de Défense le lendemain matin avec le Président. De loin, il salue ce dernier, et s'engouffre rapidement dans sa voiture officielle. À l'intérieur, il regarde sa femme, et lui dit : « Tout cela ne fait pas encore un programme pour 2022. Je ne sais pas trop où l'on va entre Cohn-Bendit et De Villiers. Je crains que le président ne le sache pas lui-même ».
Épisode 6 : Tous sur écoute
Dans ses bureaux de la rue de Miromesnil, Nicolas Sarkozy exulte. Ses pires ennemis – les magistrats du pôle financier – sont pris la main dans le sac. Dans le cadre d'une enquête préliminaire entre 2016 et 2019, ils ont espionnés les téléphones de grands ténors du barreau parisien, qui ont pour caractéristique commune d'avoir appelé maître Thierry Herzog, l'avocat de Nicolas Sarkozy. Et il y a du beau monde : Dupond-Moretti, Veil, Haïk, Lussan, et Canu-Bernard. Les magistrats financiers se sont également intéressés à la « géolocalisation » des téléphones concernés. Un Big Brother grandeur nature opportunément révélé par Le Point deux semaines avant le remaniement. « On va l'utiliser comme prétexte pour supprimer le PNF ! », s'exclame l'ancien président auprès de l'un de ses amis venu lui rendre visite. Nicolas Sarkozy n'est pourtant pas étonné. Quelques jours plus tôt, il avait été tenu au courant que le dossier allait sortir... « On va le sortir. Tu fais ton indigné et Belloubet va demander une enquête », lui a même glissé son ami Macron, comme Sarkozy aime le répéter auprès de son entourage.
« Ton indigné. » Au sein du pouvoir, ils sont peu nombreux à conserver leurs illusions sur le respect de la loi concernant les écoutes et surveillances électroniques. Entre les multiples lois « antiterroristes » qui se sont multipliées depuis une vingtaine d'années et les évolutions technologiques, rien n'est plus facile aujourd'hui que d'espionner à distance. « Les smartphones sont devenus de véritables mouchards », avertit un policier spécialisé dans la sécurité informatique. L'arme fatale reste Pegasus, un logiciel israélien capable d'intercepter en temps réel l'écran de votre iPhone. Même plus besoin de passer par le GIC - le groupement interministériel de contrôle -, il suffit de se procurer le matos adéquat via des officines privées.
À l'Élysée, un obscur conseiller de la présidence, qui n'apparaît sur aucun organigramme officiel, ne se prive pas de laisser entendre que n'importe quel appareil peut être surveillé : « Vous savez, vos mails, c'est comme si vous écriviez un blog public », balance-t-il régulièrement aux journalistes. Pas de preuves d'écoutes, mais l'ambiance est à la parano. Au sein du pouvoir, ils sont désormais nombreux à programmer la minuterie de leurs différentes messageries pour supprimer automatiquement leurs messages, façon autodestruction des messages adressés à l'équipe de Mission Impossible. La Macronie n'est pas la seule à être parano. Mélenchon, Branco et consorts, tous sont persuadés d'être plus ou moins écoutés. Les exclus de la Macronie voient aussi des complots partout : « Les digues de l'État de droit ont vraiment sauté ! » s'exclame l'un d'eux. « Mais non, c'est l'esprit transgressif du Nouveau Monde. Ce sont tous les codes classiques qui ont sauté », lui rétorque un ministre encore bien en cours.
C'est que depuis la victoire d'Emmanuel Macron, on assiste à des rapprochements étonnants. Bousquet de Florian, jusqu'alors grand coordonnateur du renseignement à l'Élysée, patron de la fameuse task force, devenu directeur de cabinet de Gérald Darmanin, a décidé d'enterrer la hache de guerre avec son pire ennemi, Bernard Squarcini. « C'est normal, c'est l'union nationale ! », rigole l'ancien patron du renseignement intérieur. D'ailleurs, celui-ci avait également été pris la main dans le sac il y a dix ans. Ses services avaient espionnés les journalistes du Monde, Gérard Davet et Fabrice Lhomme, pour tenter de découvrir quelles étaient leurs sources dans l'affaire Bettencourt. À l'époque, le scandale avait été énorme.
Aujourd'hui, Frédéric Veaux, l'ancien numéro 2 de la DCRI (à l'époque l'adjoint de Squarcini), est devenu le directeur général de la police nationale. Et sa compagne, la magistrate Véronique Malbec, est devenue la directrice de cabinet du nouveau Garde des Sceaux, Éric Dupond-Moretti. Interrogé à l'époque par la justice sur l'affaire des fadettes, Frédéric Veaux avait répondu dans le vague : « Ayant pris mes fonctions au mois de janvier 2010, j'ai découvert un métier que je ne connaissais pas [...]. Il m'a fallu un peu de temps pour maîtriser tous les aspects : encore aujourd'hui il m'arrive d'apprendre des choses. » On dirait le ministre Dupond-Moretti qui a récemment expliqué à la télé qu'il était encore en phase d'apprentissage : « On avance à petits pas, on n'arrive pas là comme un cador. Tout le monde m'en aurait voulu d'ailleurs. Je n'ai pas honte de dire que j'apprends mon métier, j'en apprends les codes, ce ne sont pas les miens. »
Si vous cherchez un cador, vous le trouverez plutôt du côté de Nicolas Sarkozy. Mais même lui s'y perd depuis quelques semaines, oscillant entre « Mon ami Emmanuel » et « Macron n'est pas à la hauteur ». L'avocat d'affaires qu'il est redevenu doit également gérer la grosse affaire en cours au sein du capitalisme français. Ses amis Arnaud, Bernard et Vincent ont décidé en plein été de se tirer la bourre sur le dossier Lagardère. Il est loin le temps où Sarkozy président pouvait siroter tranquillement une orangeade sur le pont du yacht de Vincent sans être dérangé en dehors de quelques paparazzis. Là, il s'agit d'une affaire de gros sous. Et d'influence. « Quelle mouche a piqué Vincent ? Pourquoi a-t-il décidé de s'allier si rapidement avec Amber contre Arnaud et Bernard ? », se demande Sarko en essayant de s'endormir auprès de sa femme Carla Bruni. « Ces trois-là ne vont quand même pas me mettre des bâtons dans les roues pour mon grand retour. Il faut que je convoque Arnaud rue de Miromesnil dès mon retour à Paris. »
À l'Élysée, Emmanuel Macron regarde l'opération avec la plus grande attention, reprenant ses réflexes de banquier d'affaires qu'il n'a jamais vraiment perdu. Lui joue la carte Arnault contre Bolloré qui lui est devenu hostile dans les premiers mois du quinquennat. Si le clan breton avait réussi à se rapprocher du jeune candidat à la présidentielle, multipliant les dîners entre Yannick et le couple Macron, par l'entremise de Jacques Séguéla, l'ambiance n'est plus au beau fixe.
« Tu vois Alexis, le coup de Bollo, c'est du grand art. Mais cela m'inquiète. Autant je conserve une grande confiance à l'égard de Bernard Arnault – Brigitte est tellement proche de sa femme... – autant, je sais que Bolloré risque de nous faire des difficultés. Il n'y a qu'à voir l'antenne de CNews qui multiplie les sujets poujadistes et relaie sans nuances les réseaux d'extrême droite. » À l'écoute de ses mots, le secrétaire général de l'Élysée se permet d'interrompre son chef : « Justement, M. le Président, cela peut aussi vous servir dans votre stratégie "je suis votre sauveur face au déluge à venir". Cela permet de cliver au maximum le débat entre réactionnaires et progressistes. C'est ce que dirait Emelien du reste... ». « Ne me parle plus d'Emelien, cher Alexis. S'il y a bien un inspirateur à cette stratégie, il s'appelle Michel Charasse, mon ami et regretté Charasse, qui connaissait parfaitement le coup que Mitterrand avait déjà fait avec Jean-Marie Le Pen. Et c'est justement ce qu'avait tenté de faire Hollande à la fin de son quinquennat, sauf que je lui ai coupé l'herbe sous le pied. » « Oui, et Charasse, vous a bien aidé sur le volet justice d'ailleurs durant toute cette période... », répond Alexis Kohler. Énigmatique pour le profane. Emmanuel Macron, lui, a bien compris, et se met à rire, plus détendu que jamais. Pendant que ses ennemis s'angoissent d'être écouté et sombrent dans la parano, lui s'amuse à apparaître encore comme le grand ordonnateur. Quelle ironie après le trou d'air qu'il a connu pendant la crise des gilets jaunes où il était apparu si faible. À l'Élysée, le président savoure : autour de lui, c'est toujours un champ de ruines. « Tout est sous contrôle », songe-t-il en prenant congé de son secrétaire général.
Épisode 7 : Tête de Turc
Si Emmanuel Macron est inquiet, ce n'est pas par rapport à la situation française. Durant son séjour au fort de Brégançon, le jeune président s'est surtout préoccupé des événements internationaux. Car ça pète de tous les côtés, même si les médias français en parlent finalement assez peu. Des sujets pas assez vendeurs pensent sûrement les patrons des chaînes dites « tout info ». Sauf quand le chef de l'Etat décide du jour au lendemain de se déplacer à Beyrouth après la terrible explosion : là, les images de sa visite tournent alors en boucle. « Avec ta chemise blanche, tu étais magnifique », lui a même assuré Brigitte après ce coup diplomatique.
C'est pourtant dans les coulisses que tout se joue. Au Liban, Macron était accompagné de deux proches connaissances : Samir Assaf, un haut cadre dirigeant du groupe HSBC, et Rodolphe Saadé, le PDG et directeur général de la compagnie maritime CMA CGM. Ces deux franco-libanais connaissent le chef de l'État depuis assez longtemps. Le premier a même organisé en septembre 2016 un dîner de fundraising à Londres pour sa future campagne présidentielle. Quant à CMA CGM, elle s'est alliée en février dernier au groupe MSC pour faire une offre au gouvernement libanais afin de reprendre la gestion du port de Beyrouth. Car c'est un site clé pour le réseau de transport mondial de conteneurs.
Voilà pour le business. Pour l'heure, ce qui préoccupe le plus le président français, c'est son homologue turc qui multiplie les provocations en Méditerranée orientale et en Libye. Depuis que Macron a donné une interview à The Economist en novembre 2019, Erdogan est devenu l'ennemi public numéro 1 dans sa tête. « Pourquoi Donald Trump a laissé faire sur ce dossier le département d'Etat et le Pentagone ? » se demande chaque jour Macron. Une fois n'est pas coutume, le jeune président s'est laissé surprendre en pleine crise du Covid-19 : alors que toutes les télés du monde braquaient leur projecteur sur l'épidémie et la Chine, « l'Etat profond » américain décidait de jouer discrètement la carte turque contre les intérêts européens.
Quelques semaines plus tard, désormais installé au fort de Brégançon, Macron essaye d'interroger le président Trump lors d'un entretien téléphonique. Trump : « Manu, tu vois, moi, j'ai un vrai Etat profond contre moi. Toi, je me souviens que tu avais dénoncé l'été dernier l'Etat profond du Quai d'Orsay face à tes diplomates. Ces pauvres petites choses ! Je ne t'ai pas cru à l'époque, tu surjouais. Moi, j'ai vraiment des opposants au coeur du système. Et ces opposants ont décidé de me faire chier sur le moyen-Orient et la Libye. Désolé mon gars, mais j'avais d'autres chats à fouetter pendant ce temps là, et c'est vrai que j'ai laissé faire... Ils ont décidé de soutenir Erdogan et le gouvernement de Tripoli contre Haftar en Libye, et toi, eh bien, tu t'es retrouvé dans l'impasse ». Macron : « Et ça continue Donald ! J'ai beau avoir remis plusieurs fois Erdogan à sa place, rien n'y fait. Comment tu ferais toi ? Comment tu vois les choses ? »
Trump : « Moi, je vois surtout un président qui n'a plus de stratégie. Et qui ne sait plus où donner de la tête. Mais surtout, je vois très bien pourquoi Erdogan te renvoie toujours dans la position d'un petit garçon. Car il a toutes les cartes pour se le permettre en plus ! Désolé Manu de te le dire aussi franchement, mais Erdogan a longtemps eu davantage de respect pour Tsipras que pour toi. Et après tu t'étonnes que vous n'arriviez pas à avoir l'avantage au sein même de l'OTAN... Laisse-moi rire. Mais je pense surtout que les services turcs et la CIA se connaissent très bien et se parlent, sans parler des Algériens ! ». Macron : « Que veux tu dire ? » Trump : « Tu le sais parfaitement ». Macron (sur la défensive) : « Non, non, je ne vois vraiment pas. Si tu préfères les insinuations, je préfère raccrocher et appeler Angela » Trump : « Ah non, pas elle, je la déteste. Les Allemands ont d'ailleurs appris à nous détester ces dernières années. Ils n'ont toujours pas digéré les écoutes de la NSA. Mais ils n'ont pas les couilles de mettre leurs forces dans la bataille, et de t'aider à constituer l'armée européenne de tes rêves... » Macron (soupirant) : « Je sais, je sais... » Trump (interrompant Macron) : « Bon, Manu, faut que je te laisse, CNN a encore fait un sujet sur moi. Ils parlent d'Epstein. Ils veulent vraiment ma mort, ils ont tous essayé, la Russie, et maintenant la pédophilie, incroyable ! Plutôt qu'Angela, tu devrais appeler ton nouvel ami Poutine. Lui, en vrai, c'est un chic type. Il joue carte sur table, à l'ancienne. Comme au bon vieux temps de la guerre froide... Le KGB, eux, ils savaient jouer à la loyale. Comme la mafia en Italie pendant la seconde guerre mondiale... Ils nous ont tant aidé ceux-là, on l'oublie toujours. Allez, Manu, bye bye ».
Décidément, le président Macron ne se fait toujours pas à ce Trump qui ose écourter les conversations sans y mettre plus de formes, le traitant finalement comme bien peu de choses. Quoi ? Lui, le président français ? Il imagine Mitterrand et Reagan, Mitterrand et Bush, Bush junior et Chirac. Ça, ça avait de la gueule. Sans parler de De Gaulle et Kennedy. Même quand Français et Américains se détestaient, il restait entre eux toujours la classe. Aujourd'hui, avec Trump, on se croirait au fast food de la diplomatie. « Et puis, comment Donald peut-il dire que je n'ai pas moi-même en France un Etat profond que je dois brider, remettre à sa place, si je veux faire avancer les dossiers tels que je les ai décidés ? » Macron n'a toujours pas digéré le clash qu'il a dû gérer au printemps dernier avec Jean-Yves Le Drian, son ministre des affaires étrangères. En plein mois de mai, la cellule diplomatique de l'Elysée avait pourtant fini de le convaincre de prendre ses distances avec le maréchal Haftar en Libye... alors même qu'il l'avait reçu à l'Elysée le 9 mars.
Mais durant plusieurs jours, Le Drian et ses équipes, fervents supporters d'Haftar, firent le siège de l'Elysée pour que le président revienne sur sa décision de lâcher le maréchal. La hache de guerre finit par être enterrée quelques jours avant le remaniement, au moment même où Trump reprend l'avantage face au Département d'Etat et au Pentagone sur les dossiers Erdogan et Libye. Macron peut de nouveau apparaître comme l'homme d'aucun clan, et se présenter au monde comme le grand médiateur. Enfin, le croit-il. En attendant, il doit de nouveau se coltiner la politique intérieure. Au moment du remaniement, il propose ainsi le poste du ministère de l'Intérieur à Le Drian. Mais celui-ci ose lui répondre par une fin de non recevoir : « Si je ne peux pas nommer mon propre directeur de cabinet, en l'occurence Cédric Lewandowski, qui m'avait accompagné, comme tu le sais, à la Défense durant tout le quinquennat Hollande, je préfère refuser. Je crois que tu le comprendras aisément ». Lewandowski, pour Macron, reste un épouvantail. L'homme qui a réussi à résister à Bercy et à Alexis Kohler quand il était le puissant directeur de cabinet à Brienne. « Voilà, ça, c'est l'Etat profond, n'est-ce pas ma chérie ? » Macron s'est en fait endormi sur sa table de travail, et il lance sa question en se réveillant. Il est pourtant seul dans son bureau du fort de Brégançon. À chacun ses obsessions.
Épisode 8 : Un « monsieur X » pour 2022 ?
« Et si on te mettait, toi, à Matignon ? » La question du président Macron se veut innocente, mais pas tellement. Dans son bureau de travail, celui se situant à l'angle, il fait face en ce début d'été à son secrétaire général, le très discret Alexis Kohler. « Comme ça tu pourrais continuer à terroriser les directeurs d'administration en direct », poursuit le chef de l'Etat. « Je ne suis pas sûr d'être la bonne personne pour ce poste. Je préfère l'ombre. Et j'ai tellement de dossiers à gérer dans les prochains mois, j'ai besoin de rester sur le pont à l'Elysée, mais vous êtes le seul juge... »
En guise d'un secrétaire général à Matignon, le président décidera finalement d'y nommer un ancien secrétaire général adjoint, Jean Castex. Sans l'ombre d'un doute. Peu importe si l'image technocratique de l'exécutif se renforce à 600 jours de la présidentielle. Seule compte « l'efficacité » estime Emmanuel Macron. Et puis, dans ce domaine si restreint des « technos » seuls capables de gouverner l'Etat, il sait que lui seul peut faire l'affaire : « Quelle figure propose LR ou le PS ? Hollande ? Bertrand ? C'est une blague ! »
Ce dimanche de fin d'été, le président a demandé à Bruno Roger-Petit, son « conseiller mémoire », de l'accompagner en balade du côté du Touquet. Histoire de prendre l'air, loin de la capitale. « Bruno, comment tu vois les choses ? ». L'ancien journaliste s'exécute : « Monsieur le président, je pense que votre principal adversaire aujourd'hui, c'est l'inconnu. On pourrait se retrouver dans un scénario où un "monsieur X" apparaîtrait dans les derniers mois de la présidentielle... » À ces mots, le jeune président se raidit, sa mâchoire se contracte.
« Un "monsieur X" ? On a vu où ça a terminé du temps de de Gaulle ! Tu penses par exemple à un Ruffin qui pourrait coaliser ces satanés Gilets jaunes ? »
Face à l'interrogation présidentielle, « BRP » affine son scénario catastrophe : « Pas sûr que Ruffin ait la niaque pour se farcir Méluche. Vous avez d'ailleurs intérêt à ce que Mélenchon se présente. Comme Hidalgo, il peut neutraliser la gauche, car tous deux sont de véritables repoussoirs pour toute une frange de l'électorat. Mais je pense plutôt à Onfray... » Macron le coupe aussitôt : « Oui, Onfray, c'est un souci. J'ai vu qu'il avait été interviewé il y a quelques jours par Thinkerview sur Internet, il a déjà fait plus de 1 million de vues. Son discours prend à droite comme auprès d'une gauche déboussolée. Son profil m'inquiète ».
« En même temps, ça fait partie du plan, reprend le conseiller mémoire. Hystériser les extrêmes tout en les émiettant pour mieux apparaître comme le choix de la raison, comme le rempart face à l'extrémisme. C'est bien ce que proposait notre bon vieux Michel [Charasse]. On n'a rien inventé de mieux depuis Mitterrand ». Macron : « Oui, d'ailleurs, tu as vu ? J'en ai profité pour appeler Danièle Obono après cet article dépassant les bornes dans Valeurs Actuelles. Ils ne pourront plus dire que je n'appelle qu'Eric Zemmour ».
Le portable présidentiel se met tout d'un coup à sonner sans arrêt. Plusieurs SMS tombent. « Urgent. Mediapart vient de publier un nouvel article sur Alexis Kohler. Nous devons en parler rapidement. Clément L. » « Regarde Bruno, "les chiens" sont de nouveau de sortie. Là aussi, rien n'a changé depuis François Mitterrand. Edwy Plenel est toujours là. Parfois, je me dis que je n'aurais pas dû le chercher sur les questions fiscales lors du débat télé avec Bourdin... » « BRP » soupire : « Ah, Plenel ! ».
Le président reprend : « Tu sais ce que Philippe Grangeon avant son départ de l'Elysée me disait ? Que Plenel pourrait bien être ce Monsieur X ». BRP : « Ah oui, ce n'est pas bête. En bon vieux trotskiste, il doit rêver de se relancer en politique. Regardez Joffrin avec Hollande. Mais lui ne peut y aller que sur son nom. Et c'est vrai qu'il pourrait faire de l'ombre à Mélenchon, comme à Hollande. Il peut ratisser large, y compris des Gilets Jaunes qu'il a défendu dans un livre. Il faut se méfier du moustachu, Grangeon a raison. C'est aussi le sentiment de notre ami Bertrand Delais. Lui aussi pense que Plenel est en train de préparer un truc. Pour lui, c'est ce qui explique la cabale qu'ils ont lancé contre vous et Alexis, mais bon, ça ne change rien aux faits qui sont rapportés, tout de même... »
Emmanuel Macron n'écoute plus son fidèle conseiller. Son regard se perd dans l'écran de son smartphone. Alexis Kohler lui envoie des textos également. Mais ce n'est pas pour parler de Mediapart. C'est de nouveau pour parler du Liban. Le secrétaire général de l'Elysée lui demande de revenir d'urgence au Château pour évoquer discrètement le nouveau voyage du président français dans ce pays dévasté. « Là-bas, on est vraiment à deux doigts d'une guerre ». Ces mots de ses conseillers diplomatiques raisonnent dans sa tête. Car Emmanuel Macron connaît la situation pour le moins sensible en Méditerranée orientale. Et le jeune président français mesure à quel point l'histoire peut peser lourd en ces temps difficiles. « Cher Bruno, je suis obligé de te laisser à ces enfantillages, je dois rentrer à Paris. L'Histoire avec un grand H m'appelle. Alexis veut que je le rejoigne pour préparer notre nouvelle venue au Liban. Les grandes puissances nous attendent au tournant. Je dois être à la hauteur ». Après ces paroles grandiloquentes qui ressemblent à celles d'un Villepin, BRP voit alors débarquer les gorilles du service de la protection. Fini la balade avec le président. Un hélicoptère vient d'atterrir dans le champ voisin pour ramener d'urgence Emmanuel Macron à Paris. Lui n'a plus qu'à marcher pour retrouver sa voiture garée à plusieurs kilomètres de là. C'est ce qui s'appelle être au service de la République.



Brillant comme toujours.
Il s’est tellement passé de choses folles durant son mandat que meme ce récit de fiction est hautement probable.
Oui, mais qui fera le grand plongeon à la fin ?