Et maintenant l’État au secours de Naouri : le dossier Casino au CIRI
Le dossier Casino est en cours d’instruction au CIRI, le comité Interministériel de Restructuration Industrielle. Suffisant pour convaincre les banques d'abandonner une part des dettes du groupe ?
Durant près de trente ans, on lui a tout laissé passer, tout pardonné. C’est que Jean-Charles Naouri, patron de Casino, mastodonte de la grande distribution qui croule sous les dettes, est un petit génie des maths. Au concours de Normale Sup’, n’a-t-il pas réussi l’exploit (à 17 ans !) de battre le record de points du célèbre mathématicien Henri Poincaré ? Au pays de Descartes, c’est comme si Naouri avait pu disposer de la pierre philosophale.
Voilà comment cet énarque, ancien directeur de cabinet de Pierre Bérégovoy aux ministères des Finances dans les années 1980 puis banquier d’affaires chez Rothschild, a pu grossir toujours plus, rachetant ces dernières années les franchises à tour de bras, malgré des signes de faiblesses flagrants et un marché de la distribution bouleversé par l’Internet. Aujourd’hui, le retour aux réalités est douloureux : l’ardoise de ce petit génie des mathématiques pèse près de 10 milliards d’euros de dettes, près de 3 milliards pour sa holding Rallye et plus de 6 milliards pour le groupe Casino en tant que tel.
Naouri penche pour Kretinsky
À 74 ans, Naouri est acculé. Ses principales banques, Crédit Agricole, BNP Paribas et Natixis n’en peuvent plus d’attendre depuis quatre ans le désendettement du groupe. Résultat, ces derniers mois, le cours de bourse a dévissé et les prédateurs rôdent. À l’affût, le groupe Intermarché qui souhaite racheter une centaine de magasins, mais aussi le trio Niel, Pigasse, Zouari (ce dernier est notamment propriétaire de Picard Surgelés), qui n’ont pas dit leur dernier mot devant le festin à venir, malgré l’arrêt des négociations entre Casino et le groupe Teract (dans lequel le trio a investi). Ces trois-là envisagent aujourd’hui de partir en solo à l’assaut de Casino.
Mais pour sauver sa peau, et même la face, Naouri penche plutôt pour le milliardaire tchèque Daniel Kretinsky qui était déjà venu à son secours les années précédentes : conseillé par la banque Rothschild, déjà actionnaire de FNAC Darty et de l’allemand Metro, ce dernier pourrait apporter 750 millions d’euros au groupe, tandis que Marc Ladreit de Lacharrière, le fondateur de Fimalac, pourrait de son côté injecter 150 millions d’euros. Kretinsky, l’empereur du charbon qui a fait sa fortune en rachetant à bas prix de centrales à charbon délaissées, est pourtant dur en affaires, et attend, comme Naouri, que les dettes soient renégociées « généreusement ». Concrètement, que l’ardoise des 6 milliards des dettes soit au moins effacée de moitié !
Plus de 50 000 salariés en France
Las ! Les banques ne l’entendent pas du tout de cette oreille et ne verraient pas d’un mauvais œil le démantèlement du groupe. Fin mai, le tribunal de commerce de Paris a pourtant annoncé l’ouverture d’une conciliation sur l’épineux dossier des dettes, qui doit permettre à l'entreprise de conclure un accord avec ses créanciers en vue d'une potentielle restructuration de sa dette. De son côté, Naouri espère encore que l’État va venir à son secours pour convaincre les banques d’éponger ses dettes et éviter que ces dernières ne démantèlent son groupe. Dans la balance, lui comme Kretinsky peuvent faire valoir plus de 200 000 salariés, dont plus de 50 000 en France.
Le dossier Casino est ainsi en cours d’instruction au CIRI, le comité Interministériel de Restructuration Industrielle à Bercy. Peu connu du grand public, le CIRI est un outil pour aider les entreprises en difficulté. Le comité peut aider à trouver des financements et des solutions pour restructurer ou sauver des entreprises. Bien évidemment, les pouvoirs publics sont toujours sensibles aux versants sociaux de ces dossiers financiers et industriels traités en urgence. « C’est en général très suivi par le cabinet, quelque fois à la limite du jouet, remarque une ancienne conseillère ministérielle qui a connu les couloirs de Bercy. Nous, on a sauvé des entreprises qui s’étaient fait manger par des fonds de pension agressifs et qui voulaient les dépouiller ».
J’ai contacté le cabinet de Bruno Le Maire qui préfère pour le moment ne faire « aucun commentaire » sur ce dossier Casino explosif. Pas simple pour un ministre qui a l’habitude de se bagarrer avec les distributeurs pour les droits des consommateurs d’apparaître comme le sauveur de Casino. L’Élysée a également demandé au ministre des Comptes publics, Gabriel Attal, de garder un œil sur le dossier. Autant dire qu’à 74 ans, et alors qu’il a passé quelques heures en garde-à-vue début juin dans un dossier de manipulation de cours (dont il est ressorti sans poursuites), Jean-Charles Naouri continue de bénéficier de nombreuses indulgences… « Mais les banques ne vont pas se laisser faire ! s’exclame un observateur de la place de Paris. Ça va exploser ! »
Encore un inspecteur des finances qui fait n'importe quoi, et le contribuable qui va payer...