Emmanuel Macron, la fable du « progressisme »
Après l'adoption de la loi Immigration, des voix se sont élevées contre la posture droitière du président. Ce n'est pas nouveau... L'un de ses mentors, Henry Hermand s'en inquiétait dès 2016.
Cette semaine, Le Canard Enchaîné consacre un petit article intitulé « Dr Emmanuel et Mr Macron », dans lequel il est rappelé les déclarations d’Emmanuel Macron contre l’extrême droite, en l’occurrence contre le Rassemblement National, lors des élections présidentielles de 2017 et 2020, pour mieux s’étonner, aujourd’hui qu’Emmanuel Macron « assume totalement » la loi Immigration portée par son ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin. Pourtant, tout dans le parcours d’Emmanuel Macron, tant au pouvoir que durant ses années d’initiation, démontre une proximité avec les idées les plus conservatrices de l’histoire française. Et pas uniquement par calcul ou par suivisme dans les sondages.
Ceux qui continuent de dépeindre Emmanuel Macron comme une simple « girouette » ou un « opportuniste » sans idéologie (le « macronisme » serait ainsi caractérisé par son « vide » selon l’éditorialiste de France Inter, Thomas Legrand), n’ont pas voulu voir un fait : Emmanuel Macron n’a aucune limite quand il s’agit de faire de la politique, pour conserver le pouvoir, au point de n’avoir aucun gêne à lever tout barrage à l’égard de l’extrême droite, dans ses multiples stratégies, petites et grandes. Cette « rupture », dans la droite ligne d’un esprit de « transgression » particulièrement apprécié par les commentateurs dès 2017 contre tout ferment de République sociale, n’est pourtant pas nouvelle. Car cela fait bien longtemps que le « en même temps » macroniste a pour objectif de concrétiser l’union des deux droites, si chère à Patrick Buisson, pour asseoir durablement son pouvoir et empêcher toute alternance à gauche, une option un temps envisagée par un certain Nicolas Sarkozy. Une posture qui va jusqu’à choquer Bernard Cazeneuve qui compare désormais Macron dans une récente tribune à « Janus », un être « double et menaçant », un « en même temps de droite et d’extrême droite ».
Certes, Emmanuel Macron pourrait être aussi le simple symptôme d’une époque terrible, celle d’un tout se vaut propre au marché néolibéral, mais s’il lui manque manifestement une assise historique et une profondeur de vue, sa connivence personnelle le porte naturellement vers la droite la plus dure. À l’Élysée, le conseiller mémoire, Bruno Roger-Petit, exégète favori de la geste présidentielle, n’a d’ailleurs jamais caché sa fascination pour son chef et son « ethos de droite », comme il l’a souvent confié à ses visiteurs. De mon côté, pour avoir enquêté depuis 2014 sur le président de la République et son parcours, cela fait bien longtemps que j’avais perçu ses inclinations anti-démocratiques. Et pour éviter de me répéter, je vous propose en cette fin d’année à la fois une interview vidéo enregistrée à l’automne 2020 pour la web télé QG, ainsi que la postface que j’avais publiée dans l’édition poche de mon ouvrage l’Ambigu Monsieur Macron dès janvier 2018 (éditions Points). Il y a bientôt six ans. Je remercie mon co-éditeur, Hugues Jallon, le PDG du Seuil, de m’avoir autorisé à reproduire ici ce texte.
La fable du « progressisme », postface de l’Ambigu Monsieur Macron (édition poche, janvier 2018).
Il était encore ministre de l’Économie de François Hollande. Mais on le sentait déjà bien éloigné de ses responsabilités gouvernementales et entièrement concentré sur son ambition présidentielle… En ce 20 août 2016, Emmanuel Macron visitait le parc d’attractions du Puy-du-Fou en compagnie de son fondateur, le très droitier Philippe de Villiers. Le jeune loup apparaît alors tout sourire à ses côtés et va jusqu’à lui rendre hommage, saluant un « un entrepreneur culturel ». Ce dernier répond avec la même emphase : « C’est la première fois que je vois un ministre conduire un char avec autant d’audace et surtout cette capacité à apprendre […]. Je pense qu’il y a pour Monsieur Macron, devant lui, un avenir pour conduire toute sorte de char. »
Aux journalistes qui demandent au ministre les raisons d’une telle visite, Macron répond droit dans ses bottes : « Pourquoi, c’est étonnant ? […] L’honnêteté m’oblige à vous dire que je ne suis pas socialiste. » Quelques jours plus tard, le jeune homme pressé de 38 ans retrouvera entièrement sa « liberté » après avoir donné sa démission à François Hollande. Sans scrupule. Quelques jours plus tard, il en aura encore moins quand il recevra, discrètement cette fois-ci, à petit-déjeuner une dizaine de prêtres, dont certains connus pour leur engagement contre le mariage pour tous, comme l’abbé Grosjean ou Pierre Amar, tous deux curés du diocèse de Versailles.
Peu importe pour celui qui, à travers ce geste très gaullien, se vit déjà au-dessus des partis. Et pourtant, quelle manière étrange de concevoir la sortie de tous les « conservatismes » de droite comme de gauche qu’il appelle alors de ses voeux ! Lui qui affirme son ambition de rassembler tous les « progressistes » finit par irriter son plus fidèle soutien, Henry Hermand, qui n’a pas du tout apprécié ses sourires aux côtés du vicomte de Vendée : « Je n’ai pas compris pourquoi il est parti au Puy-du-Fou et je l’ai d’ailleurs dit à Emmanuel. D’autant qu’il est apparu bien trop proche de Villiers. C’était trop. »
Un projet avant tout bonapartiste
Emmanuel Macron déconcerte donc jusqu’à ses plus fidèles. Chacun projette finalement dans le « macronisme » sa propre identité politique, comme pour mieux se rassurer. Au risque de quiproquos. Artisan infatigable des centres, de gauche comme de droite, François Bayrou a ainsi pensé, après son médiatique ralliement, devenir le partenaire indispensable de Macron. Même s’il a répété publiquement le contraire, réfutant toute forme de « ticket », sans doute le maire de Pau espérait-il secrètement devenir son Premier ministre. « La grande erreur de Bayrou est politique, et non humaine, critique un soutien du président. Il a pensé que Macron était d’abord un centriste. Or, si Macron prend l’espace politique du centre, il bouscule avant tout les codes. En réalité, son projet est beaucoup trop bonapartiste pour être fidèle au centre. » De même, le député socialiste Richard Ferrand, compagnon de la première heure, était persuadé au cours de la campagne que Macron allait « gouverner à gauche », comme il le confiait en privé, et qu’il resterait donc fidèle à sa « famille », tel le turbulent Nicolas Sarkozy, qui avait incarné la « rupture » à droite à l’égard du vieux Jacques Chirac. Là encore, quiproquo.
Car Macron qui n’a cessé de se présenter comme un homme « de gauche », ne s’inscrit pas en réalité dans les luttes ayant marqué la gauche. Macron et la gauche, c’est plutôt tabula rasa. L’ancien ministre de François Hollande ne s’encombre guère de la mémoire des partis, des syndicats et des associations de gauche. « Au fond, décrypte un ancien ministre socialiste, Macron est a-historique. Il pense pouvoir créer le nouveau monde à partir de rien. Mais on ne crée jamais à partir de rien. » (Libération, 6 octobre 2017).
Au cours du précédent quinquennat, ses amis socialistes aimaient pourtant le présenter comme un authentique « social-démocrate », sans pour autant expliquer quelle était la stratégie de leur petit préféré pour impulser un nouveau rapport de force face au capitalisme globalisé. En 2015, Julien Dray constatait ainsi que Macron n’avait « pas de surmoi marxiste » : « Il n’a pas cette culture. C’est à la fois une qualité et un défaut. Car parfois il apparaît “sans principes”, sans ancrage traditionnel. Et c’est vrai qu’il peut se laisser lui-même emporter par une certaine “modernité” à tout-va. »
Quelque temps après, Michel Rocard, peu avant sa mort, estimait ainsi que Macron, son jeune cadet, était « loin de l’histoire ». Oui, loin de l’histoire de la gauche et du progressisme. « Jeune socialiste, je suis allé voir chez les partis suédois, néerlandais et allemand, pour voir comment cela marchait. Le pauvre Macron est ignorant de tout cela », ajoutait l’ancien Premier ministre de François Mitterrand.
Entre manichéisme politique et chantage
De son côté, Dominique Strauss-Kahn, lors d’un hommage rendu à l’ancienne ministre Nicole Bricq, soutien de la première heure de Macron et décédée à l’été 2017, rappelait qu’elle-même « savait que les valeurs de droite et les valeurs de gauche ne sont pas les mêmes. Que les deux sont nécessaires à l’équilibre de la société ». Une forme de rappel à l’ordre venant d’un socialiste pour le moins modéré…
Au cours de sa campagne, Macron n’a pourtant cessé de répéter que le nouveau clivage se situait entre les « progressistes » et les « conservateurs ». Une vision binaire entre « modernes » et « archaïques » loin d’être du goût de tous les Français, et notamment à gauche, mais qui va lui servir pour dépasser le système bi-partisan traditionnel. Dans ce contexte, son « progressisme » est d’abord une stratégie électorale pour s’imposer face au repoussoirs que constituent alors François Fillon et Marine Le Pen. Au clivage droite-gauche, il cherche ainsi à substituer une opposition entre le « bloc libéral », qu’il aimerait incarner, et le pôle des « extrêmes », dans lequel il n’hésite pas à ranger Jean-Luc Mélenchon ou Benoît Hamon… Un manichéisme politique qui lui a finalement permis de clore tout débat de fond. Presque un chantage.
Certes, en ces temps de terrorisme, Macron a théorisé « la bienveillance » en politique, proposé un projet « positif » à la France, exprimé sa foi en l’Europe, s’est opposé au « néo-conservatisme » de l’après 11 Septembre. Comme cet homme né en 1977 avait joué avec la nostalgie de certains Français, celle des années 1970 justement, où les classes moyennes croyaient encore au progrès et au bonheur collectif. L’image d’Emmanuel Macron, celle d’un gendre idéal, ayant grandi à Amiens, loin du microcosme parisien, a sûrement été sa meilleure carte pour sa folle ambition de ravir le pouvoir.
Une forme de kitsch chez Macron
Qualifié de « moderne », il y a quelque chose d’anachronique chez Emmanuel Macron. Et c’est peut-être ce qui a rassuré certains Français. Une forme de kitsch dans un alliage un peu particulier de tradition et de modernité : entre French Tech, Puy-du-Fou, et Jeanne d’Arc. Emmanuel et Brigitte Macron sont amis de Line Renaud et Stéphane Bern, et font des selfies avec eux sur Instagram. Avec Macron, c’est finalement Retour vers le futur. Celui d’une France qui rêvait qu’en 2016 on irait sur Mars.
Résultat, libéral sur le plan économique, certains à gauche ont cru qu’il l’était également sur le plan politique, héritier de la « troisième voie » chère à Tony Blair, ou qu’il était un « social-libéral » à la manière d’un Justin Trudeau ou d’un Bill Clinton. Face aux postures autoritaires et aux coups de menton d’un Manuel Valls, Macron a utilisé cette image d’ouverture pour se différencier tout au long de l’année 2016 et se tenir à distance du bilan du gouvernement. C’était l’époque où il laissait dire par des proches qu’il ne soutenait par le projet présidentiel de la déchéance de la nationalité… C’est du reste ce que dénonce aujourd’hui la droite extrême qui le dépeint comme le représentant des élites globalisées, « hors-sol », et héraut d’un « libéralisme culturel » si décrié par le philosophe Jean-Claude Michéa.
Il est vrai que Macron aime jouer de cette image à l’international : défenseur de la planète et de l’écologie face à Trump, défenseur des homosexuels en Tchétchénie face à Poutine, meilleur « pote » de Justin Trudeau lors du G7, et même « héritier » de Barack Obama pour The New York Times et l’élite démocrate de Washington… Mais comme le président Chirac en son temps qui aimait prendre une posture progressiste à travers sa diplomatie, Emmanuel Macron est en réalité un conservateur sur les questions sociales et « sociétales ». Dès l’élimination de Valls aux primaires, Macron multiplia les déclarations pour séduire l’électorat de droite, évoquant, dès février 2017, la « tolérance zéro », ou expliquant que La Manif pour tous avait été « humiliée » par François Hollande et son gouvernement !
Un populisme renversé, technocratique
Au final, son « libéralisme » économique est à la fois complaisant à l’égard de la grande finance internationale et à l’égard des identitaires qu’il instrumentalise comme autant de « repoussoirs » pour asseoir son pouvoir. Cette forme de populisme renversé, technocratique, lui permet d’évacuer la question sociale au sens où on l’entendait en France depuis le XIXème siècle, issue de ces luttes populaires qui ont pourtant permis de renforcer notre démocratie. En réalité, le sujet d’Emmanuel Macron n’est pas celui de la justice ou de l’émancipation, mais celui de l’« unité » et de l’« efficacité », afin de sauver le système institutionnel et économique. Sa « révolution », qu’il a choisie comme titre de livre, est profondément conservatrice. Sa posture européenne mêle ainsi appel au débat démocratique et injonction technocratique. autre absence notable chez Macron : le questionnement sur notre modèle de développement actuel et son essoufflement.
Guère étonnant si, face à la crise de la social-démocratie en Europe, le président de la République essaye d’abord de draguer les traders de Londres après le Brexit et ne dit rien contre les « forces de l’argent ». Une expression toute mitterrandienne… citée à de multiples reprises au moment du lancement d’En Marche ! par un certain François Bayrou. Au nom de l’« efficacité », Macron préfère ainsi s’attaquer aux salariés, aux gens de peu, aux perdants de la globalisation, et multiplie les provocations à leur égard. Qu’on en juge : « Au lieu de foutre le bordel, ils feraient mieux d’aller regarder s’ils peuvent avoir des postes » (4 octobre 2017) ; « Je ne céderai rien, ni aux fainéants, ni aux cyniques, ni aux extrêmes » (8 septembre 2017, Athènes) ; « Une gare, c’est un lieu où l’on croise les gens qui réussissent et les gens qui ne sont rien » (29 juin 2017) ; « Le kwassa-kwassa pêche peu, il amène du Comorien » (1er juin 2017) ; « Le meilleur moyen de se payer un costard, c’est de travailler » (27 mai 2016) ; « Il faut des jeunes français qui aient envie de devenir milliardaires » (7 janvier 2015) ; « Les salariées de Gad sont pour beaucoup illettrées » (17 septembre 2014).
À l’automne 2017, Macron finit par être affublé de l’étiquette de « président des riches » comme Nicolas Sarkozy en son temps. « En fait, avec Macron, ce n’est pas de droite et de gauche, c’est de droite et de droite », fulmine un ancien pilier de la majorité socialiste, loin d’être un révolutionnaire. Les mesures décidées dès l’été 2017 annoncent en effet la couleur : ordonnances pour déréguler le marché du travail, respect des 3 % du PIB de déficit pour l’année en cours qui amène à de nombreuses coupes budgétaires, baisses d’impôts massives pour les plus riches, baisse des aides au logement, baisse des financements de l’État aux collectivités locales, coupes dans le budget de l’enseignement supérieur et de la recherche, nouvelle loi antiterroriste qui intègre de nombreux éléments de l’état d’urgence dans le droit commun, et réponse répressive du ministère de l’Intérieur à l’égard des migrants…
Jouer avec les symboles historiques
Presque mécaniquement, dans les enquêtes d’opinion, la popularité du nouveau président de la République plonge ainsi parmi les sympathisants de gauche et remonte du côté de la droite. C’est finalement le plus grand hold-up du banquier Macron : avoir été élu par une bonne part de l’électorat traditionnel du PS… et faire une politique de droite ! « La moitié de l’électorat de Hollande en 2012 a voté pour Macron au premier tour de la présidentielle de 2017, rappelle Jérôme Fourquet de l’institut de sondage IFOP. La droite a mieux résisté à l’offensive Macron : seulement 17 % de l’électorat de Sarkozy a voté pour lui au premier tour. Donc, clairement, oui, une grande majorité de son électorat (environ 60 %) venait de la gauche et du centre gauche. Mais une fois qu’il a eu brisé le PS à la présidentielle, Macron a cherché à casser la droite aux législatives en envoyant des signaux à cet électorat (nomination de ministres de droite, coupes dans les dépenses publiques, réforme du Code du travail…), stratégique qui a connu un certain succès. » (Le Monde, 7 octobre 2017)
Pour préserver son image et incarner un semblant d’« unité », Macron joue avec les symboles historiques autour de l’identité de la France. Le soir de son élection, le tout juste président élu investit ainsi le Louvre devant les caméras du monde entier. Palais royal de l’Ancien Régime, siège de la cour de Napoléon, et musée révolutionnaire transformé par Mitterrand. L’histoire millénaire de la France représentée en une image. En s’abreuvant de cette mythologie historique, Macron cherche à se « présidentialiser », à placer ses pas dans la grande histoire. Avant lui, Nicolas Sarkozy en avait fait autant lors de sa campagne de 2007, n’hésitant pas à citer dans ses discours écrits par Henri Guaino des figures de la gauche comme Léon Blum.
En pleine campagne, Macron s’était inspiré de la France unie de 1988, la célèbre campagne de Mitterrand pour mieux rassembler face à Fillon et Le Pen : « Pour s’émouvoir aux grand discours sur l’Europe de François Mitterrand quelques semaines avant sa mort, fallait-il être de gauche ? Pour éprouver de la fierté lors du discours de Jacques Chirac au Vél’ d’hiv’, fallait-il être de droite ? Non. Il fallait être français », déclamait-il dans le Palais des sports de Lyon, citant pêle-mêle de Gaulle, Mitterrand, Chirac. Cette posture de réconciliation l’a amené à faire des grands écarts, en reconnaissant à la fois des aspects positifs à la colonisation, pour ensuite la qualifier de « crimes contre l’humanité ».
Cette France qui manque d’un roi
À force de vouloir se placer dans l’histoire millénaire de la France, Macron en oublierait presque le moment fondateur de la République, la Révolution. C’est ainsi qu’en juillet 2015 il assure que, dans la politique française, « la figure du roi » est absente. Un roi dont il pense même « que le peuple français n’a pas voulu la mort. La Terreur a creusé un vidé émotionnel, imaginaire, collectif ». Les clins d’œil à cette France anterévolutionnaire, Macron les a multipliés. On l’a vu, en novembre 2016, le jour de l’annonce de sa candidature à la présidence, il tient à se rendre à la basilique de Saint-Denis, nécropole des rois de France…
Comme son ami Stéphane Bern, Emmanuel Macron préfère finalement la petite histoire, l’histoire événementielle. Celle des alcôves de la royauté, de la société de cour, des champs de bataille. Sa femme, Brigitte, est d’ailleurs fan de la célèbre émission de l’animateur télé, Secrets d’histoire. Une histoire romancée. En son temps, l’écrivain Alexandre Dumas excellait dans le domaine. C’est d’ailleurs dans son château de Monte-Cristo, construit au milieu du XIXème siècle dans un style néo-Renaissance, à Port-Marly dans les Yvelines, qu’Emmanuel Macron inaugure devant la presse les Journées du patrimoine et annonce sa décision de confier à Bern un rapport sur le sujet.
Ce château de Monte-Cristo qui incarne, là aussi, le kitsch d’une époque en plein bouleversement, en pleine révolution industrielle, et qui pourtant célèbre alors la nostalgie du Moyen Age, dans la droite ligne de l’architecte Viollet-le-Duc, spécialisé dans les restaurations de monuments. On est donc bien loin de l’école des Annales, de Marc Bloch ou de Fernand Braudel, l’histoire des grands mouvements de civilisations, du développement du capitalisme. Brigitte confie d’ailleurs que son mari est un « romantique ».
Justement, Macron préfère appeler, dans Le Point (31 août 2017), au retour de « l’héroïsme », et célébrer « l’intemporel ». Étrange mystique qui éloigne manifestement cet homme de l’histoire séculière. Macron semble préférer se réfugier dans les symboles et une forme renouvelée du sacré. Un homme « de son temps », si l’on en croit pourtant Laurent Fabius, le président du Conseil Constitutionnel, qui cita le romantique Chateaubriand, pour qualifier le nouveau président de la République lors de son investiture. Ou un symbole d’un « néo-protestantisme » hors-sol et globalisé selon Régis Debray. À l’image de son portrait officiel, surexposé, saturé de symboles (deux iPhones et des ouvrages de la Pléïade posés sur son bureau, une horloge à l’arrière plan, la fenêtre ouverte sur les jardins), rassemblant finalement tous les codes des précédents portraits des présidents de la Vème République (les drapeaux, le bureau, la bibliothèque, le jardin…). « Cette photo kitsch est maintenant accrochée dans toute la France », raille très justement le quotidien allemand Bild (29 juin 2017). Une compression historique digne de César. À défaut de proposer un nouvel avenir aux Français, Emmanuel Macron pourrait finir président d’une France devenue un grand parc d’attractions, tel le parc à thème reproduisant l’Angleterre dépeint en son temps par l’écrivain britannique Julian Barnes dans son roman England, England…
Des grands hommes à un simple aventurier
Cela pourrait suffire à Macron, lui qui se sent davantage proche des héros de la littérature qu’il découvrait, alors enfant, avec sa grand-mère, que du destin des peuples. N’a-t-il pas écrit, adolescent, un roman picaresque, Babylone, Babylone, dans lequel il racontait l’aventure d’Hernán Cortés, le conquistador espagnol qui s’est emparé de l’Empire aztèque ? C’est peut-être de cela dont parle Macron : sa tentative un peu folle de projeter dans son propre parcours l’hubris des grands hommes, ces destins qui pouvaient éclore quand l’Europe faisait encore la grande histoire. « La France doit redevenir une grande puissance tout court », affirme-t-il pourtant.
Devenu président de la Vème République, créée sur mesure pour le général de Gaulle, Macron se dit ainsi en recherche d’une « transcendance » perdue. Macron cite à dessein Hegel et sa théorie des grands hommes, toute en multipliant les références aux panthéons respectifs de la gauche et de la droite. En attendant, il essaye surtout d’écrire la suite du roman dont il est le héros, de proposer pour son image cette « identité narrative » chère à Paul Ricoeur. Finalement, ce « maître des horloges », tel qu’il se définit parfois en privé, « mobilise-t-il et illustre-t-il uniquement le kairos grec, celui qui est saisi du moment favorable, fait appel à la mètis, mais n’ouvre nullement un nouveau temps ? », se demande l’historien François Hartog. Comme le rappelait François Mitterrand à la fin de sa vie : « Je suis le dernier des grands présidents. Après moi, il n’y aura plus que des financiers et des comptables. » Macron l’apprendra peut-être à ses dépens : l’histoire est souvent cruelle et pourrait le transformer en un simple aventurier.
Texte écrit en octobre 2017 pour l’édition poche augmentée de L’ambigu monsieur Macron (éditions Points, janvier 2018).
Macron n'est même pas encore bonapartiste .puisqu'il n'a de cesse que d'affaiblir les institutions afin de conserver le pouvoir....
Kairos? Non, Kakistos.